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ESCALADES DANS LES ALPES.

La partie inférieure du glacier de Hohlicht que nous avions pu entrevoir n’était pas fort encourageante ; nous nous décidâmes donc à franchir l’arête qui le relie au glacier du Rothhorn. Cette ascension nécessita des efforts surhumains. Il nous fallut nous élever de nouveau à une altitude de plus de 3650 mètres. Nous prîmes la direction de ce même Triftjoch que nous avions dédaigné, et nous descendîmes par le chemin bien connu, mais fort raide et fort désagréable, qui conduit à ce col. À 7 heures 20 minutes du soir, nous arrivâmes à l’hôtel du Mont-Rose, à Zermatt. Nous avions marché douze heures (haltes non comprises) depuis notre départ du chalet d’Arpitetta (2 heures et demie de Zinal) ; nous fûmes donc obligés de reconnaître que le col de Moming n’était pas précisément le chemin le plus court, bien qu’il fût le plus direct, de Zinal à Zermatt.


Vis-à-vis de l’hôtel du Mont-Rose on voit presque toujours deux douzaines de guides français, suisses et italiens, bons, médiocres ou mauvais, assis sur le petit mur ; les uns attendent les touristes qui les ont retenus à l’avance ; les autres, ceux qui les engageront à leur service. Ils épient l’arrivée des voyageurs, et calculent d’après leur physionomie quelle somme ils pourront extraire de leurs poches. Les messieurs, accoutrés parfois d’une étrange façon, forment des groupes devant la façade de l’hôtel, les uns debout, d’autres assis, d’autres enfin paresseusement étendus sur les bancs placés des deux côtés de la porte. Leurs chaussures sont généralement extraordinaires ; leurs coiffures des plus excentriques. Leurs figures gonflées, pelées, bourgeonnées par l’air des montagnes, offrent de curieux sujets d’étude. Grâce à des soins constants, à un travail incessant, quelques habiles, quelques privilégiés, ont pu acquérir un teint d’une belle couleur de brique cuite ; le plus grand nombre, toutefois, ne jouit pas de ce rare et incomparable avantage. Ils ont été brûlés sur les rochers et rôtis sur les glaciers. Une sorte de gomme visqueuse pareille à la térébenthine a suinté de leur visage bouffi et craquelé comme une potiche, a coulé le long de leurs joues et s’y est desséchée en