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ESCALADES DANS LES ALPES.

était très-molle, nous enfoncions toujours jusqu’aux genoux et quelquefois jusqu’à la ceinture, mais un violent mouvement d’avant en arrière nous sortait du mauvais pas. Nous arrivâmes ainsi au pied du pic le plus élevé. L’arête de gauche nous paraissant plus praticable que celle sur laquelle nous nous trouvions, nous décrivîmes une courbe pour l’atteindre. Quelques rochers surgissaient hors de la neige à 50 mètres au-dessous du sommet ; nous les escaladâmes en rampant, après avoir abandonné notre porteur qui se disait peu rassuré. Je ne pus résister à la tentation de me retourner vers lui, quand nous le laissâmes seul, et de lui faire signe de venir nous rejoindre en ajoutant : « N’ayez pas peur, suivez-moi, » mais il ne répondit pas à cet appel et ne voulut jamais s’aventurer jusqu’au sommet. Ces rochers aboutissaient à une courte arête de glace sur laquelle il nous fallait passer, en ayant d’un côté le plateau, de l’autre un précipice presque vertical. Macdonald se mit à y tailler des pas, et, à 2 heures moins un quart, nous nous serrions la main sur le sommet le plus élevé du Grand-Pelvoux vaincu.

Le temps continuait à nous être aussi favorable que nous pouvions le désirer. De près et de loin, d’innombrables pics se dressaient dans le ciel, sans qu’un seul nuage vint nous en cacher le plus petit détail. Nos regards furent d’abord attirés par le roi des Alpes, le Mont-Blanc, à plus de 112 kilomètres de distance, et, plus loin encore, par le groupe du Mont-Rose. Vers l’est, de longues rangées de cimes inconnues se déroulaient l’une après l’autre dans une splendeur idéale ; de plus en plus faibles de ton, elles conservaient cependant la netteté de leurs formes, mais le regard finissait par les confondre avec le ciel, et elles s’évanouissaient à l’horizon lointain dans une teinte bleuâtre.

Le mont Viso se dressait devant nous dans toute sa grandeur, mais, comme il était à peine éloigné de 65 kilomètres, nous voyions se dérouler par-dessus ses contre-forts une masse brumeuse qui devait être les plaines du Piémont. Au sud, un brouillard bleu semblait nous révéler l’existence de la lointaine Méditerranée. À l’ouest, notre vue dépassait les montagnes de