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ÂME BLANCHE

peu à peu, je dépouillais mon « moi », ma jeune personnalité remuante et vive, pour m’identifier avec cette forme vague, nuageuse, insaisissable que me représentait l’âme d’Henriette.

J’étais devenue très grave, gagnée à la bizarrerie de la situation, ayant conscience de ce que j’allais représenter la figure principale d’une scène. Mme Erlanger m’’entraînait, et elle ne m’appelait plus Henriette, comme naguère ; il y aurait eu là, après la mort de la vraie titulaire de ce nom, une insouciance profane. La mère me disait : « Yette », à l’imitation de son petit. Yette, c’est-à-dire ni Henriette, ni Evangline, mais quelqu’un qui figurerait l’une et l’autre, sans être réellement aucune des deux.

En rien de temps, tous les enfants Erlanger furent prêts à sortir et nous partîmes. Dans la rue, la pauvre femme m’accablait de prévenances :

— Yette, veux-tu des gâteaux ?

— Yette, veux-tu des images, une poupée, un nécessaire à ouvrage ?

Je marchais, silencieuse et droite, les yeux levés, les nerfs à fleur de peau, un goût de larmes dans la bouche. Je faisais « non » chaque fois, de la tête, surprise et un peu choquée de ces offres prosaïques.

L’atelier du photographe était situé place Sainte-Gudule, dans les combles d’une très vieille maison aménagés de la façon la plus