Page:Wilde - Derniers essais de littérature et d’esthétique, 1913.djvu/161

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de l’Athos ait les yeux fixés sur un ancien manuscrit dont les caractères recroquevillés cachent une œuvre lyrique ou une ode de celle que les Grecs appelaient la Poétesse, tout comme ils désignaient Homère par les mots : « le Poète », celle qui était pour eux la Dixième Muse, la fleur des Grâces, l’enfant d’Eros, et l’orgueil de l’Hellade, Sapho à la douce voix, la belle aux beaux yeux, à la chevelure noire de nuance d’hyacinthe.

Mais en fait, l’œuvre de la merveilleuse chanteuse de Lesbos est entièrement perdu pour nous.

Il nous reste quelques pétales des roses de son jardin, et c’est tout.

De nos jours la littérature survit au marbre et au bronze, mais aux temps anciens, il n’en était point ainsi, malgré la fière assertion du poète romain.

Les fragiles vases d’argile des Grecs nous conservent encore les portraits de Sapho, délicatement peints en noir, rouge et blanc, mais de son chant nous n’avons que l’écho d’un écho.

Parmi toutes les femmes de l’histoire, Mistress Browning est la seule que nous ayons le droit de nommer en un rapprochement possible ou lointain avec Sapho.

Sapho était, sans contredit, une artiste plus impeccable, plus parfaite.

Elle remua tout le monde antique plus que Mistress Browning n’a jamais remué l’âge moderne.

Jamais l’Amour n’eut un chantre pareil.

Même dans les quelques vers qui nous restent, la passion semble consumer, brûler.