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LE PORTRAIT

Il tenta souvent d’établir une psychologie des parfums, et d’estimer les diverses influences des racines douces-odorantes, des fleurs chargées de pollen parfumé, des baumes aromatiques, des bois de senteur sombres, du nard indien qui rend malade, de l’hovenia qui affole les hommes, et de l’aloès dont il est dit qu’il chasse la mélancolie de l’âme.

D’autres fois, il se dévouait entièrement à la musique et dans une longue chambre treillissée, au plafond de vermillon et d’or, aux murs de laque vert olive, il donnait d’étranges concerts où de folles gypsies tiraient une ardente musique de petites cithares, où de graves Tunisiens aux tartans jaunes arrachaient des sons aux cordes tendues de monstrueux luths, pendant que des nègres ricaneurs battaient avec monotonie sur des tambours de cuivre, et qu’accroupis sur des nattes écarlates, de minces Indiens coiffés de turbans soufflaient dans de longues pipes de roseau ou d’airain, en charmant, ou feignant de charmer, d’énormes serpents à capuchon ou d’horribles vipères cornues.

Les âpres intervalles et les discords aigus de cette musique barbare le réveillaient quand la grâce de Schubert, les tristesses belles de Chopin et les célestes harmonies de Beethoven ne pouvaient l’émouvoir.

Il recueillit de tous les coins du monde les plus étranges instruments qu’il fut possible de trouver, même dans les tombes des peuples morts ou parmi les quelques tribus sauvages qui ont survécu à la civilisation de l’Ouest, et il aimait à les toucher, à les essayer.

Il possédait le mystérieux juruparis des Indiens du Rio Negro qu’il n’est pas permis aux femmes de voir, et que ne peuvent même contempler les jeunes gens que