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DE DORIAN GRAY

rue. L’ayant écarté, il entra dans une longue chambre basse qui avait l’air d’un salon de danse de troisième ordre. Autour des murs, des becs de gaz répandaient une lumière éclatante qui se déformait dans les glaces pleines de chiures de mouches, situées en face. De graisseux réflecteurs d’étain à côtes se trouvaient derrière, frissonnants disques de lumière… Le plancher était couvert d’un sable jaune d’ocre, sali de boue, taché de liqueur renversée.

Des Malais étaient accroupis près d’un petit fourneau à charbon de bois jouant avec des jetons d’os, et montrant en parlant des dents blanches. Dans un coin sur une table, la tête enfouie dans ses bras croisés était étendu un matelot, et devant le bar aux peintures criardes qui occupait tout un côté de la salle, deux femmes hagardes se moquaient d’un vieux qui brossait les manches de son paletot, avec une expression de dégoût…

— Il croit qu’il a des fourmis rouges sur lui, dit l’une d’elles en riant, comme Dorian passait… L’homme les regardait avec terreur et se mit à geindre.

Au bout de la chambre, il y avait un petit escalier, menant à une chambre obscure. Alors que Dorian en franchit les trois marches détraquées, une lourde odeur d’opium le saisit. Il poussa un soupir profond, et ses narines palpitèrent de plaisir…

En entrant, un jeune homme aux cheveux blonds et lisses, en train d’allumer à une lampe une longue pipe mince, le regarda et le salua avec hésitation.

— Vous ici, Adrien, murmura Dorian.

— Où pourrais-je être ailleurs, répondit-il insoucieusement. Personne ne veut plus me fréquenter à présent…