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DE DORIAN GRAY

— Très bien, lui dit-il ; rien ne peut mieux guérir l’âme que les sens, comme rien ne saurait mieux que l’âme guérir les sens.

L’adolescent tressaillit et se retourna… Il était tête nue, et les feuilles avaient dérangé ses boucles rebelles, emmêlé leurs fils dorés. Dans ses yeux nageait comme de la crainte, cette crainte que l’on trouve dans les yeux des gens éveillés en sursaut… Ses narines finement dessinées palpitaient, et quelque trouble caché aviva le carmin de ses lèvres frissonnantes.

— Oui, continua lord Henry, c’est un des grands secrets de la vie, guérir l’âme au moyen des sens, et les sens au moyen de l’âme. Vous êtes une admirable créature. Vous savez plus que vous ne pensez savoir, tout ainsi que vous pensez connaître moins que vous ne connaissez.

Dorian Gray prit un air chagrin et tourna la tête. Certes, il ne pouvait s’empêcher d’aimer le beau et gracieux jeune homme qu’il avait en face de lui. Sa figure olivâtre et romanesque, à l’expression fatiguée, l’intéressait. Il y avait quelque chose d’absolument fascinant dans sa voix languide et basse. Ses mains mêmes, ses mains fraîches et blanches, pareilles à des fleurs, possédaient un charme curieux. Ainsi que sa voix elles semblaient musicales, elles semblaient avoir un langage à elles. Il lui faisait peur, et il était honteux d’avoir peur… Il avait fallu que cet étranger vint pour le révéler à lui-même. Depuis des mois, il connaissait Basil Hallward et son amitié ne l’avait pas changé ; quelqu’un avait passé dans son existence qui lui avait découvert le mystère de la vie. Qu’y avait-il donc qui l’effrayait ainsi. Il n’était ni une petite fille, ni un collégien ; c’était ridicule, vraiment…