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LE PORTRAIT

— Ce n’est pas un gentleman, mère, et je déteste la manière dont il me parle, dit la jeune fille, se levant et se dirigeant vers la fenêtre.

— Je ne sais pas comment nous nous en serions tirés sans lui, répliqua la vieille femme en gémissant.

Sibyl Vane secoua la tête et se mit à rire.

— Nous n’aurons plus besoin de lui désormais, mère. Le Prince Charmant s’occupe de nous.

Elle s’arrêta ; une rougeur secoua son sang et enflamma ses joues. Une respiration haletante entr’ouvrit les pétales de ses lèvres tremblantes. Un vent chaud de passion sembla l’envelopper et agiter les plis gracieux de sa robe.

— Je l’aime ! dit-elle simplement.

— Folle enfant ! folle enfant ! fut la réponse accentuée d’un geste grotesque des doigts recourbés et chargés de faux bijoux de la vieille.

L’enfant rit encore. La joie d’un oiseau en cage était dans sa voix. Ses yeux saisissaient la mélodie et la répercutaient par leur éclat ; puis ils se fermaient un instant comme pour garder leur secret. Quand ils s’ouvrirent de nouveau, la brume d’un rêve avait passé sur eux. La Sagesse aux lèvres minces lui parlait dans le vieux fauteuil, lui soufflant cette prudence inscrite au livre de couardise sous le nom de sens commun. Elle n’écoutait pas. Elle était libre dans la prison de sa passion. Son prince, le Prince Charmant était avec elle. Elle avait recouru à la Mémoire pour le reconstituer. Elle avait envoyé son âme à sa recherche et il était venu. Ses baisers brûlaient ses lèvres. Ses paupières étaient chaudes de son souffle.

Alors la Sagesse changea de méthode et parla d’enquête et d’espionnage. Le jeune homme pouvait être