Page:Wilde - Poèmes, trad. Savine, 1907.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la joie ses accents les plus mélodieux, tandis que

 nous autres, nous n'avons que le silence mort et
 sans voix pour guérir nos plaies trop découvertes,
 et ne savons que tenir la souffrance emprisonnée
 en nos coeurs, que tuer le sommeil sur l'oreiller.
 Chante encore plus fort, pourquoi faut-il que je
 revoie la face lasse et pâle de ce Christ abandonné,
 dont jadis mes mains ont tenu les mains sanglantes,
 dont si souvent mes lèvres ont baisé les lèvres
 meurtries, et qui maintenant muet, misérable en
 son marbre, reste seul dans sa demeure déshonorée,
 et pleure, sur moi peut-être.
 O mémoire, dépouille ton enveloppe enguirlandée,
 brise ton luth aux sons rauques, ô triste Melpomène;
 ô souffrance, souffrance, reste close en ta
 cellule fermée; et ne double point de tes larmes cette
 limpide Castalie! Tais-toi, tais-toi, triste oiseau, tu
 offenses la forêt en tourmentant son calme champêtre
 de ton chant si ardemment passionné!
 Silence, silence, ou s'il est angoissant de se taire,
 emprunte au sansonnet des champs son air plus
 simple, à lui dont la joyeuse insouciance est mieux
 faite pour ces forêts anglaises que ton cri aigu de
 désespoir. Ah! tais-toi, et que le vent du Nord
 remporte ton lai aux collines rocheuses de la Thrace,
 à la baie orageuse de Daulis.
 Un instant encore! Les feuilles effarouchées seront