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L’ÎLE AU MASSACRE

tion et de sacrifice. Il y apprit à obéir et à commander. Les désillusions qu’il en retira lui furent un avant-goût de celles plus amères encore qu’il devait éprouver plus tard. Revenu parmi les siens, découragé dans ses velléités militaires, il songea à fonder un foyer. En 1712, il épousa Marie-Anne Dandonneau du Sablé, de l’Île du Pas, dont il eut quatre fils et deux filles.

Privé de sa solde d’officier, il dut, pour subvenir à l’entretien de sa famille, se livrer au commerce des fourrures. En 1728, alors qu’il commandait un poste de traite sur les bords du lac Népigou, il entendit parler d’un pays immense et merveilleux qui se trouvait à l’Ouest des Grands Lacs.

Si la curiosité fut mère de l’invention, les explorations et partant les découvertes qui en suivirent furent souvent dues au goût de lucre, à l’avidité des hommes et à leur insatiable appétit de luxe et jouissance. Pour quelques-uns les explorations furent suivies avec un esprit d’aventure qui satisfaisait à la fois leur courage et leur désir d’accepter avec plaisir une fortune qui pourrait leur tomber du ciel. Pour Lavérendrye, une hypothèse avait pris jour dans son cerveau et, dès lors, tous ses efforts furent concentrés sur sa vérification.

Les difficultés que rencontraient les nations d’Europe pour se rendre aux Indes, en Chine et au Japon les excitèrent à se tourner vers l’Ouest et à y chercher un passage qui leur permît de se soustraire à la puissance des Turcs et à leur surveillance. Les explorateurs qui furent envoyés à la conquête des trésors de l’Orient rencontrèrent des brouillards et des neiges au lieu de soleil, et des animaux à fourrures au lieu d’épices. Leurs efforts détournés de leur véritable but ne furent cependant pas perdus. Un nouveau monde d’une richesse incalculable s’offrit à leur avidité. Suivant un habitant séculaire, les Anglo-Saxons se ruèrent sur cette contrée qu’ils exploitèrent, se souciant peu de l’explorer et de lui insuffler le principe vivificateur de la civilisation. Néanmoins, les esprits sérieux restaient préoccupés par un passage au Nord-Ouest. Tous le cherchaient par la mer. Épuisés par la fatigue, ils revenaient sans cesse faire assaut contre les obstacles périodiques des neiges et des glaces. Nul n’avait encore songé à la possibilité d’un voyage par terre au delà des Grands Lacs. C’est en écoutant les récits des Indiens qu’il rencontrait au lac Népigou que Lavérendrye eut l’intuition qu’en traversant les territoires de l’Ouest on arriverait à la mer. C’est le propre des hommes de génie et de grands découvreurs de bâtir des projets sur une hypothèse que réalisent leurs œuvres et leurs voyages. À la volonté, à la ténacité, à la clairvoyante intelligence de Champlain nous devons la construction de Québec et la fondation de la Nouvelle-France. « Esprit toujours précis au service d’une âme toujours ardente, a dit Georges Goyau, Champlain laissa assez d’essor à ses rêves pour ne jamais cesser de voir grand, et les tenir assez en bride pour garder le contact avec le réel : l’idéaliste, en lui, orientait le réalisateur, et le réalisateur surveillait l’idéaliste ; et son rare génie d’organisation s’accommodait à toutes les tâches, qu’il s’agisse d’appareiller un vaisseau, d’outiller un fort, d’installer des Français dans une bourgade sauvage ou des sauvages dans le bercail du Pape. » Pour les mêmes raisons, Lavérendrye est devenu le Champlain de l’Ouest. Tous deux, conduits par les mêmes principes civilisateurs et religieux, ont donné un domaine à la France et un champ d’action au Christianisme.

Lavérendrye soumit son plan à un missionnaire jésuite, le Père Nicolas Degonnor qui plaida avec succès sa cause auprès du gouverneur du Canada, le marquis Charles de Beauharnois. Son énergie inlassable, sa droiture d’esprit dictée par des convictions religieuses inébranlables faisaient de lui l’homme idéal nécessaire à la poursuite et à la réussite d’un tel projet.

Grand, bel homme, portant fièrement la tête, Lavérendrye apparaissait tout de suite comme un chef. Ses yeux aux reflets d’acier se dirigeaient sans cesse vers un but visible par lui seul. Rayonnant devant un nouvel espoir, ils s’assombrissaient soudain devant un acte d’énergie à faire ou devant une douleur trop forte qu’il fallait surmonter. Mais toujours un reflet mystérieux brillait dans ce regard qui alimentait son feu dans une âme ardente et indomptable. Naturellement bon, Lavérendrye avait comme tous les grands chefs le respect de la discipline et du devoir. Il était sévère pour ses compagnons comme pour lui-même.

Sans ressources, il reçut pour couvrir les frais de l’expédition le monopole du