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Page:Willaume - L'île au massacre, 1928.djvu/23

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L’ÎLE AU MASSACRE

mes tirent des coups de feu, en signe de joie.

— A-t-on prévenu mon père ?

— Monseigneur de Lavérendrye se trouvait sur la grève en compagnie du père missionnaire au moment où le canot de La Londette aborda. Il examine la pêche et m’a envoyé vous dire d’aller le retrouver.

— Alors ils ont été plus heureux qu’hier.

— Amiotte parle d’une pêche miraculeuse. Paniers et filets sont pleins.

— Dieu soit loué ! Notre père n’aura plus d’inquiétudes. Nous aurons de quoi vivre jusqu’à l’arrivée des canots de ravitaillement qui ne sauraient tarder… Allons vite voir cette pêche, Louis-Joseph.

Rose-des-Bois les regardait partir. Une question s’apprêtait à jaillir de ses lèvres frémissantes. Ses yeux suppliaient. Elle aurait voulu retenir les deux frères encore un instant. Tout à coup ses bras se tendirent vers ceux qui ne la regardaient plus. Déjà la porte se refermait sur eux.

— Avez-vous des nouvelles du fort Maurepas, hasarda-t-elle ?

François se retourna en fronçant les sourcils. Il regarda Louis-Joseph pour savoir si, à ce nom, la même pensée ne l’avait pas frappé. Mais il ne vit rien. Louis-Joseph, préoccupé par la bonne nouvelle, n’avait pas fait attention à la question de Rose-des-Bois. François s’était tout de suite demandé ce que Jean-Baptiste et Pierre devenaient au fort Maurepas et la Jemmeraye à celui de la Fourche. Il se souvint que dans sa dernière lettre Jean-Baptiste s’était plaint à son père du manque de nourriture et de l’impossibilité où ils se trouvaient de se procurer, soit du poisson, soit du gibier. Et il y avait de cela trois semaines.

— Non, répondit-il un peu brusquement à Rose-des-Bois, nous n’avons rien encore.

Quand ils arrivèrent sur la plage, il y avait une animation inaccoutumée autour des canots. Pâle-Aurore se tenait tout près de Lavérendrye et du P. Aulneau qui regardaient en souriant un va et vient excité. Les facéties d’Amiotte provoquaient l’hilarité générale.

— J’avais bien raison, disait-il, de ne pas vouloir Bourassa avec nous. Il fait sauver les poissons avec son nez. Ils ont peur.

— Allons, laisse-le tranquille. Ce n’est pas sa faute s’ils ont attrapé moins de poissons que nous.

— Je le sais bien. Mais il n’a pas besoin d’être aussi fier.

— Toi, mon petit, dit Bourassa exaspéré, tu te feras moucher un de ces jours.

— Et par qui ?

— Par moi.

— Ah ! Ah ! éclata de rire Amiotte. As-tu du temps de reste après que tu as nettoyé ton monument ?

Lavérendrye s’était mis à l’écart avec le P. Aulneau. Il appela ses fils. Devant le résultat inespéré de la pêche il voulait aussitôt profiter de cette heureuse circonstance et envoyé quelques-uns de leurs gens au-devant des canots venant de Montréal. Il venait de soumettre son idée au missionnaire et après avoir exposé son projet à ses fils il demanda leur avis.

— C’est la meilleure chose que nous puissions faire maintenant, répondit François. Il est absolument nécessaire de savoir à quoi nous en tenir sur ce retard.

— À qui pensez-vous donner le commandement de l’expédition ? demanda Louis-Joseph.

— À Bourassa. Il me paraît le plus qualifié pour la mener à bonne fin.

— Vous savez, père, fit observer François, que nos gens se moquent parfois de Bourassa, à cause, précisément, des qualités que vous reconnaissez en lui. Ne craignez-vous pas que son autorité n’en perdit un peu de sa force ?

Lavérendrye fronça les sourcils. Il n’aimait pas beaucoup que l’on puisse jouer avec l’autorité et l’obéissance. Il répliqua en s’avançant vers le groupe des employés.

— Nous allons voir.

Il réunit tout son monde autour de lui. Après avoir jeté un regard circulaire sur ses gens qui se tenaient silencieux, il se tourna vers Bourassa et, sa voix vibrante d’autorité, il lui dit :

— Je sais que je puis compter sur vous Bourassa. En conséquence, vous partirez demain avec un canot et quatre hommes. Vous prendrez avec vous…

— Moi ! Moi ! Moi ! Moi ! dirent plusieurs voix.

Lavérendrye jeta un coup d’œil étonné et satisfait à François.

— Amiotte, nomma-t-il.

— Oh ! Monseigneur, supplia l’ami