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L’ÎLE AU MASSACRE

— Nous ne tarderons plus à avoir des nouvelles, fit François. Il est impossible que par ce beau temps Jean-Baptiste ne se soit pas décidé à nous envoyer un courrier.

— Il sera le bienvenu, dit le père. L’incertitude où je vis devient insupportable.

— Ayez confiance, dit le P. Aulneau.

Pour changer de conversation, il ajouta en souriant.

— J’aurais aimé accompagner Bourassa. Il aura chance de rencontrer de mes confrères. Et Dieu sait que j’aurais bien besoin de raffermir mon âme.

— Toujours vos scrupules ? Vous êtes un saint. Quelles fautes votre conscience peut-elle vous reprocher ?

— Le sage pêche sept fois par jour… Espérons qu’au prochain départ je pourrai en être.

Ils avaient passé la porte du fort, traversé la cour et s’étaient arrêtés devant la maison de Lavérendrye.

— Entrez-vous, demanda ce dernier.

— Volontiers.

Amiotte et La Londette les avaient suivis à distance. De temps en temps, le plus grand attrapait le plus petit par le fond de la culotte et le poussait en avant pour accélérer une marche qui se ralentissait de plus en plus.

— Laisse-moi donc tranquille, dit Amiotte, tu vas me déchirer mon « nécessaire ».

— Je comprendrais que tu te fâches si tu étais obligé de le raccommoder toi-même.

— Et qui donc le fera si ce n’est moi ?

— Mais, Fleur-d’Aubépine, ta femme…

— Elle ne l’est pas encore.

— Cela ne peut plus tarder.

— Penses-tu que je veuille la fatiguer dès le lendemain de son mariage ?

— Eh ! Eh !… Je vois que tu vas la soigner, ta femme…

— Dame !… Crois-tu que j’aie l’intention d’en faire une esclave ? On est civilisé nous autres !…

— C’est bien ça, Amiotte. Cela me fait plaisir de voir que tu as des sentiments humains. Quand on a une femme délicate comme la tienne, il faut en prendre soin.

— Non mais, est-ce que tu te moques de moi ?

— Pas le moins du monde.

— Heureusement, après que tu sais, grand escogriffe !…

— Dis donc, je vais t’insulter à mon tour, tu sais, moi, si tu ne respectes pas ma taille et ma moulure.

— Oui, oui, parlons-en…

— Tu ferais mieux de te hâter, ils viennent de rentrer dans la maison.

Les deux amis pressèrent le pas. Amiotte courait presque. Il s’arrêta soudain sur le seuil de la porte.

— Passe devant, grande buse, tu me montreras le chemin.

— Comme si tu ne le savais pas !…

— Enlève ton bonnet.

— Eh bien ! et le tien ?

— Moi, c’est fait.

Ils se trouvaient dans le couloir qui conduisait au salon de Lavérendrye quand tout à coup la porte s’ouvrit et François se dressa devant eux. IL avait entendu le bruit que faisaient les deux compagnons et était venu voir ce qui se passait. À sa vue, Amiotte voulu prendre la poudre d’escampette, mais la main de La Londette l’arrêta.

— C’est bien la peine de venir jusqu’ici, si c’est pour te sauver.

— Qu’y a-t-il ? demanda François qui, amusé, regardait le couple.

— Mon camarade Amiotte voudrait causer à Monseigneur, répondit La Londette en tournant son bonnet entre ses doigts.

— Père, dit François en se tournant vers l’intérieur de la chambre, Amiotte et La Londette voudraient vous parler.

— Qu’ils entrent.

— Passe, dit Amiotte.

— Non, après toi, répondit La Londette.

— Non.

Ni l’un ni l’autre ne voulait franchir le seuil le premier. Finalement, ils se décidèrent à la fois et ils vinrent s’écraser entre les côtés de la porte.

— François, dit Louis-Joseph, il faudra faire élargir cette porte. Elle est trop étroite pour eux deux.

Tous s’amusaient de voir la situation comique de ces employés.

— Monseigneur, dit La Londette qui sentait des crampes lui travailler l’estomac, mon compagnon Amiotte est venu pour vous dire… pour vous demander…

— Oui, c’est ça… chuchota Amiotte en le poussant du coude, continue.

— Me demander quoi ?

— Dis-le, Amiotte ! Je ne sais pas moi. C’est toi qui te marie. C’est pas moi.