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L’ÎLE AU MASSACRE

riage religieux qui se faisait dans ces régions de l’Ouest. La voix du P. Aulneau tremblait quand il dit aux nouveaux époux : Vous êtes mari et femme.

Puis il ajouta quelques mots qui s’adressèrent au couple aussi bien qu’à tous ceux qui se trouvaient dans l’église. Il fit comprendre que la meilleure façon de donner cette contrée à la civilisation et à Dieu, était, pour les Français, de prendre femme dans le pays.

Ce n’est pas sans une secrète émotion que Pâle-Aurore écoutait ce que disait le P. Aulneau. Elle sentait dans son cœur des élans de tendresses infinies pour celui qui l’associerait à cette œuvre de civilisation et de foi. Et tout de suite, sa pensée se dirigea vers celui qu’elle chérissait dans son âme. Elle le désirait ardemment à ses côtés et elle aurait voulu, tant son amour la poussait à faire d’aimables folies, pouvoir crier au prêtre : Mon père bénissez-nous. Elle se voyait déjà entrant dans cette humble et primitive église au bras de celui qui deviendrait son père, et elle apercevait, souriant au pied de l’autel, celui qui serait son époux bien-aimé. Elle se sentait attirée vers lui par une force irrésistible et elle se précipitait dans ses bras. Mais tout à coup, Pâle-Aurore se souvint qu’elle assistait au mariage de sa compagne, Fleur-d’Aubépine ; et elle remarqua qu’insensiblement elle s’était levée et qu’elle se trouvait, maintenant, debout dans l’église. Elle se laissa choir vivement sur son siège en rougissant jusqu’aux blancs des yeux. Rose-des-Bois l’avait observée et avait vu avec un étonnement profond les divers sentiments qui s’étaient reflétés sur le visage de sa sœur. Une foule de pensées assaillit aussitôt son esprit et la plongea dans une profonde rêverie pendant laquelle elle se demanda : Pâle-Aurore aimerait-elle tant Jean-Baptiste ?… De leur côté, François et Louis-Joseph se souvinrent de leur conversation et sourirent en regardant les deux jeunes filles.

Le prêtre continuait.

— De cette union sortira une race forte qui, dans les siècles à venir, sera le rempart de la foi dans ce pays. Que l’exemple donné par Amiotte soit suivi, c’est la prière que je fais à Dieu.

À l’issue de la cérémonie, un bon dîner fut servi aux membres de la colonie. Il y avait longtemps que pareilles agapes avaient été faites.

Aux félicitations que La Londette présenta aux nouveaux époux, Amiotte répondit :

— Tu as entendu ce que le père missionnaire a dit ? Qu’attends-tu pour en faire autant ?

— Une femme qui puisse aller à ma taille. Une belle petite.

— Comment, une petite ?

— Mais oui, une petite. Nos bagages sont assez lourds comme ça. Quand nous serons obligés de faire un portage, je pourrai la prendre sous mon bras.

— Oh ! toi, tu es un grand farceur.

— J’ai beau être grand et gros, je ne suis pas aussi bête que tu en as l’air.

— Hein ?

— Rien.

— Ah ! Je croyais… Et toi ? demanda Amiotte à Beaulieu qui s’avançait, quand est-ce que tu te maries ?

— Bientôt, répondit ce dernier en grognant. Mais moi, je ne resterai pas ici.

— Où iras-tu ?

— C’est mon affaire.

— Regardez-moi, ce cachottier. Aurais-tu l’intention de prendre une Siouse, par hasard ?

— Peut-être.

Et Beaulieu les quitta en se dirigeant vers sa cabane. Quelque temps après, il en ressortait avec un paquet sur le dos, son fusil en bandoulière. Profitant de ce que tout le monde était occupé à faire honneur au festin, il se glissa le long de la palissade, monta sur un tas de bois qui se trouvait là, enjamba, sauta et disparut dans la forêt. Fatigué de vivre sous la tutelle de Lavérendrye, il se sauvait et allait se réfugier au milieu des Sioux où il avait des relations. Sans s’en douter Amiotte avait deviné juste, Beaulieu allait se marier à une femme de la tribu ennemie héréditaire de celle des Cris.

Tandis qu’au fort Saint-Charles on oubliait un instant, au milieu de la gaieté qu’avait amenée le mariage d’Amiotte, les angoisses des jours passés, Bourassa continuait son voyage.

Glissant au fil de l’eau, le canot avançait rapidement. Bourassa chantait pendant que les rames plongeaient dans l’eau pour en retirer des perles d’argent. Tout à coup, un cri horrible se fit entendre. Une