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L’ÎLE AU MASSACRE

jeunesse que les jeunes généraux de la Révolution Française ont fait des prodiges. Il faut donner à l’enfant une éducation telle qu’à l’âge de vingt ans il devra se considérer un homme capable d’initiative et d’énergie. Dans l’histoire du passé il trouvera des exemples, dans le présent il aura les conseils de l’expérience et à vingt-cinq ans il sera susceptible de conduire une armée, de diriger une exploration ou d’être à la tête d’une grande entreprise. C’est pour n’avoir pas connu la criminelle maxime : Il faut que jeunesse se passe, que Lavérendrye a pu faire de ses jeunes fils des hommes qui ont découvert avec lui l’Ouest Canadien. Aussi il ne fut pas surpris de voir François donner un aperçu nouveau sur l’exploration.

— Qu’est-ce qui te fait croire cela, François ?

— La configuration générale de ce pays où tout est immense. Voyez le Saint-Laurent, voyez les Grands Lacs que nous avons passés. Et depuis que nous sommes sur ce nouveau versant, voyez ces nouveaux lacs et ces nouvelles rivières qui se jettent dans d’autres lacs sans que nous paraissions jamais pouvoir arriver au bout de cette chaîne.

— C’est en somme une impression que tu retires de cette immensité ?

— C’est plus qu’une impression. C’est une intuition produite par l’étude du terrain… Ainsi ce lac sur lequel nous avons établi le fort Maurepas, où se déverse-t-il ?

— Mais il me semble, dit Louis-Joseph, que les récits des Indiens indiquent clairement qu’il communique avec une mer au nord, celle que découvrirent, par terre, deux Français, et où les Anglais maintiennent des forts encore aujourd’hui. Il importe même de contrecarrer leurs inquiétantes activités.

Comme Louis-Joseph prononçait sa dernière phrase, Jean-Baptiste entra. Il jeta un rapide coup d’œil autour du salon, puis il demanda.

— Avez-vous vu Cerf-Agile ?

— Non.

— Il m’a semblé l’apercevoir auprès du magasin, répondit Louis-Joseph.

— Ce n’était pas lui, c’est Front-de-Buffle qui aide Pierre à faire l’inventaire de nos réserves. Je me suis informé, personne ne sait où il est.

— Sa présence t’est-elle indispensable ? demanda Lavérendrye.

— Pas précisément…

— Si tu as besoin d’aide pourquoi ne demandes-tu pas celle d’un de nos employés ?…

— Je n’ai besoin de personne actuellement, père. Je surveillais simplement Cerf-Agile.

— Tu le surveillais ?… N’est-il pas assez grand pour se guider lui-même ?

— Autrefois on pouvait le laisser maître de ses mouvements, mais depuis notre retour, depuis hier en particulier...

Tout le monde écoutait étonné.

— Explique-toi, fit Lavérendrye.¸

Jean-Baptiste ne trouvait pas la réponse aussi facile à faire que la demande. Il hésitait et semblait embarrassé d’être obligé, dans un moment où tout était encore confus dans sa pensée, de devoir donner des précisions.

— J’ai appris, hier soir, des choses qui me font croire que l’attitude de Cerf-Agile envers nous n’est plus aussi franche que par le passé.

— Et quelles sont ces choses si graves que tu as apprises ?

— Cerf-Agile a fait une scène de jalousie à Pâle-Aurore…

— Et c’est de cela, dit en riant Louis-Joseph, que tu déduis que Cerf-Agile a de mauvaises intentions ?

— De plus, acheva Jean-Baptiste qui ne fit pas attention à l’interruption de son frère et au sourire qui se dessinait sur les lèvres de son père et de François, quelques instants auparavant Rose-des-Bois m’a fait une déclaration d’amour des plus intempestives.

— De mieux en mieux. Décidément, tu as du succès auprès de ces dames !…

— Et d’après ce que m’a dit Pâle-Aurore, il serait bon de nous méfier de Cerf-Agile.

— Allons, Jean-Baptiste dit Lavérendrye paternellement, c’est une querelle d’amoureux. Tout passera et dans quelques jours nous n’entendrons plus parler de rien.

Pierre entrait tout surexcité.

— Père !

— Eh bien ?

— Quelqu’un d’entre vous a-t-il pénétré dans le magasin, hier ?

— Pas que je sache.