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L’ÎLE AU MASSACRE

souvenir ? Nous nous aimions tant !…

— À quoi bon te défendre ? Une mère n’a-t-elle pas le secret de lire dans le cœur de ses enfants. C’est ainsi que j’ai découvert le désir que tu as de revoir ta chère prairie.

Pâle-Aurore rougit légèrement. Elle fut effrayée de se sentir devinée. Depuis longtemps, elle aurait voulu retourner au milieu de ses bois et de ses lacs. Mais elle avait cru que c’était mal de sa part. Elle essaya de se défendre.

— Je vous assure que…

— Tranquillise-toi. Nous ne t’en voulons pas de regretter le lieu où tu passas ton enfance. Notre sort à nous est pareil au tien. Ne vivons-nous pas loin de la terre qui nous a vus naître ? Souvent notre pensée s’y reporte. Pourquoi n’aurais-tu pas ce même désir ?

— Oh ! Ne me dites pas des choses qui me font souffrir. Ne faites pas germer dans mon cœur un espoir dont la réalisation serait impossible.

— Ne suis-je pas là pour te dire d’espérer ?

— Espérer ? Mais ne suis-je pas malade ?

— Tu guériras.

— Le mal est sans remède.

— Le remède est dans ta chère prairie. C’est là bas qu’il faut aller le chercher.

Les yeux de la jeune fille s’éclairèrent. Une joie illumina son visage.

— Oui, là-bas, mais je suis si faible…

— Quand tu seras un peu plus forte, Pierre t’y reconduira.

— Vous feriez cela ?

— Nous en avons parlé ensemble avec mon fils tout à l’heure. Les bois de ta jeunesse pourront seuls te rendre la santé.

— Oh ! madame, oh ! maman, est-ce vrai ce que vous dites là ? Je pourrai revoir… Que vous êtes bons et comme je vous aime !…

— Quoi ? Pâle-Aurore va partir ? demandèrent les deux fillettes.

Madame de Lavérendrye posa un doigt sur ses lèvres et montra l’Indienne qui, les yeux fermés, savourait le bonheur immense que lui avait causé cette nouvelle.

— Une suprême nécessité l’exige, dit-elle tout bas. C’est le seul moyen de la sauver.

— Comme elle va nous manquer !…

— Nous l’aimions tant !

— Qu’importe, si pour la guérir nous devons briser notre cœur !…

— Est-ce bien vrai ? Je vais pouvoir partir ? fit Pâle-Aurore que cette joie inattendue rendait incrédule.

— Je te reconduirai moi-même au fort Saint-Charles, dit Pierre.

— Que vous êtes bon ! Écoutez ces oiseaux… C’est pour moi qu’ils chantent. Ils chantent ma guérison n’est-ce pas ?

— Certainement. Tu guériras vite maintenant.

— C’est mon plus vif désir, mon bon ami. Si ce n’était cette toux qui me fait mal, je serais très bien.

— Hâte-toi de reprendre quelque force et nous irons rejoindre Fleur-d’Aubépine qui sera si heureuse de te revoir !

— Que vous êtes bons, que vous êtes bons, répéta Pâle-Aurore. Elle les regardait tous, les yeux remplis de larmes. Comme vous avez été bons pour moi !…

— Mais non, dit Pierre étreint malgré lui par une violente émotion, nous sommes loin d’être bons. Nous sommes égoïstes. Nous voudrions te garder près de nous, mais il faut que tu partes, hélas !… Pour moi, je serai longtemps encore à tes côtés.. Toujours, si tu le veux… Et peut-être qu’un jour sans m’aimer autant que je t’aime…

— Attention, fit Pâle-Aurore d’un ton naïf et embarrassé, nous ne sommes pas seuls, Pierre.

— Mais maman sait bien que je t’aime et que tu es la jeune fille la plus douce, la plus aimante qui se puisse rencontrer.

— Voyons…

— Mais c’est la vérité, dit Marie-Anne.

— Tu vois bien. À quoi bon résister davantage ? Nous irons revivre là-bas. Il me tarde comme à toi, de revoir ces paysages qui nous écrasent de leur grandeur et qui nous enveloppent de leurs caresses.

— Oui, Pierre, vous avez raison d’aimer cette belle nature… Je veux être forte et nous partirons bien vite…

Une quinte de toux la secoua toute. Elle frissonna longuement et son visage se crispa de douleur tandis qu’elle porta sa main à sa poitrine.

— Tu te fatigues à parler ainsi, fit Madame de Lavérendrye. Il faut être sage et te reposer un peu.

— Une minute encore. Laissez-moi vous