Page:Wilson - Voyage autour du monde, 1923.djvu/476

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sortir de terre et charger l’ennemi ! Ils n’attendent plus maintenant que le commandement suprême du Sauveur à Lazare : Veni foras, la résurrection ! Et quand sonnera la trompette de l’ange, au jour dernier, cette phalange, encore et toujours debout, rayonnante de gloire, sortira de l’immortelle tranchée pour voler au premier rang des phalanges célestes !

D’autres conseillaient Vimy, Courcelette, Amiens, Arras où les Canadiens se sont couverts de gloire. Nous décidâmes d’aller d’abord à Reims, remettant à plus tard la visite de ces champs immortels. Quittant Paris, de bonne heure, par la gare de l’Est, à dix heures, nous étions à Reims. En auto, nous avons parcouru Neuvillette, Berry-au-Bac, la Côte 108, le Chemin des Dames, Craonne, Château-Thierry.

Les arbres sont rasés par les boulets de canon ; les champs bouleversés, ravagés. Chaque côté de la route : des cimetières. Les croix s’y pressent comme les épis dans les champs de blé ; croix blanches : soldats français et alliés ; croix noires : soldats allemands et autrichiens. C’est tout ce qui les distingue maintenant. La mort a comblé la tranchée où, quatre années durant, l’humanité civilisée s’est battue avec la rage des hordes barbares. En parcourant ces champs de bataille, j’étais obsédé par cette pensée : « À quoi sert donc la civilisation ? »

Sur la route, près d’un bosquet, des fossoyeurs viennent d’exhumer deux soldats enterrés à la hâte, sous le feu, pendant l’engagement ; on doit les transporter dans les cimetières affectés. L’un est français, l’autre boche. Leurs ossements brunis, dépouillés de chair, s’entrelacent ; la tunique bleu horizon du piou-piou français et la défroque terreuse du hun tombent en loques, s’effilochent et se confondent en une cendre noirâtre. En tombant, ces braves ont dû se dire que la bataille était finie ! Savent-ils, ces héros, que le clairon a cessé de sonner, mais que l’humanité affolée se dévore encore plus que jamais ? Dormez, ensevelis dans le linceul de la gloire, braves soldats ; ceux qui restent sont plus à plaindre que vous !