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Page:Witkowski, Nass - Le nu au théâtre depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, 1909.djvu/32

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le nu au théâtre

Enfin, circonstance plus curieuse, une certaine superstition s’attachait à tout ce qui touche la sexualité. Le mystère profond de la différenciation sexuelle et de la conception avait fortement frappé l’esprit des antiques. D’où cette scène représentée couramment aux Mystères d’Eleusis : Cérès, désespérée, erre, à la recherche de sa fille Proserpine ; une paysanne athénienne Banbo lui donne l’hospitalité et cherche à la consoler ; n’y parvenant pas, comme dernière ressource elle « expose ses parties sexuelles, aux regards de Cérès, qui se prit à rire et oublia son chagrin[1] ». Mais il nous faut arrêter là notre courte promenade à travers le théâtre grec, si loin de nous, si vivant cependant, et qui se rapproche, par ses tendances philosophiques et sociales, de notre esthétique contemporaine. Concluons que, malgré la naïveté et la simplicité de la mise en scène, les Grecs de l’antiquité ne négligeaient pas ce facteur primordial qui donne à l’art dramatique toute sa puissance et toute sa grâce : la plastique féminine.

Le théâtre et les mœurs romains s’inspirèrent trop de leurs initiateurs, les Grecs, pour ne pas tomber dans la même sentine de lubricité, les jours de fêtes populaires, et ne pas s’inspirer à la scène des mêmes principes esthétiques. Ovide, pour excuser la licence de ses vers, disait que ceux des Mimographes étaient encore plus libres. Les priapées se donnaient libre cours aux représentations des Atellanes (fig. 20), lesquelles n’avaient rien à envier aux bacchanales, aux saturnales, aux Mystères de Cérès ou d’Eleusis. Bien entendu les femmes nues y jouaient un rôle de premier plan ; de même aux jeux floraux qui avaient lieu les trois derniers jours d’avril ou les trois premiers de mai. Dans ces fêtes en l’honneur de la déesse Flore, paraissaient sur le théâtre des femmes Mimes nues qui, par leurs attitudes lascives et leurs gestes indécents, composaient le spectacle le plus obscène (fig. 21). Caton le Censeur assistait, un jour, aux jeux floraux que l’édile Messius faisait célébrer ; les femmes Mimes n’osèrent pas paraître en sa présence, tant il inspirait de respect. Voyant l’embarras qu’il causait, il se retira suivi d’un

    aussi belles l’une que l’autre, qui figurèrent au théâtre de Corinthe dans la pantomime du Jugement de Pâris. Pour se conformer à la légende mythologique, les trois déesses étaient parées de leur seule beauté.

  1. Nous trouvons encore un exemple de cette influence salutaire dans le Moyen de parvenir (C. xxvii). Il s’agit d’un jeune libertin qui désire prendre des privautés avec sa fiancée et fait le malade : « Qu’y a-t-il, mon ami ? — Hélas, ma mie, je suis malade, que je n’en puis plus : je mourroi si je ne vois ton cas. — Vraiment voire ? — Hélas, oui, si je l’avais vu, je guérirois. » Elle ne lui voulut point montrer. Il advint trois ou quatre mois après le mariage qu’il fut fort malade, et il envoya sa femme au médecin pour porter de son eau. En allant, elle s’avisa de ce qu’il lui avoit dit en fiançailles. Elle retourna vitement, et se vint mettre sur le lit ; puis levant cotte et chemise, lui présenta son cela en belle vue, et lui disoit : « Jean regarde-le…, et Le guéris. »