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Page:Witkowski, Nass - Le nu au théâtre depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, 1909.djvu/42

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le nu au théâtre

Anne

Nous voulons qu’il (Jésus) soit devestu
Tout aussi nu qu’un ver de terre,
Et pour prier ne pour requerre,
Ne leur laissez ne hault ne bas,
Grans ne moyens ne petits draps,
Dont il sceust couvrir un seul point.


Orillart

Vous le voulez avoir au point,
Qu’il yssi du ventre sa mère.


Jhéroboam

Justement.


Le nu recouvert ou non d’un maillot avait ses inconvénients chez certaines natures trop ardentes, si nous en croyons Marc de Montifaud, à qui nous laissons la responsabilité du récit. « Dans un mystère, à l’occasion du vendredi saint, la troupe des confrères chargée d’exprimer la scène du Golgotha, attacha sur la croix un beau jeune homme presque nu. En face de lui étaient les trois actrices représentant les trois Maries, choisies parmi les plus belles filles de la ville, et qui se tenaient agenouillées, les seins découverts. Notre personnage avait en perspective une demi-douzaine de tétons capables, par leur systole et leur diastole, de subjuguer la vertu du plus froid anachorète, ce qui occasionna un incident très comique et très profane, car le crucifié, au lieu de prononcer du haut de sa croix des paroles dignes de celui qu’il représentait, prononça, dans une attitude équivoque, des turpitudes dignes de la damnation éternelle…, et telles enfin qu’on peut les deviner. »

Évidemment, aux origines même du théâtre français, — le théâtre dans l’église, — on n’utilisa point l’effet scénique du nu : on pensa lorsque le théâtre fut transporté à la porte de l’église et surtout sur la place publique. Dans le dessin ci-contre, la scène représente l’Enfer avec ses flammes dévorantes, et son horrible seuil : de fort aimables damnées, dépourvues de tout appareil, y subissent l’éternel supplice. À côté de ce décor figure « une grande gueule se cloant et ouvrant quant besoing est ».

Il ne faut point croire que cette mise en scène était aussi fruste qu’on s’est plu à le répéter ; au contraire, nos aïeux du quinzième siècle, ne disposant que de moyens fort simplistes, réalisaient de véritables tours de force. C’est surtout pour le cortège et les entrées royales qu’ils se mettaient en frais d’imagination. En 1486, lorsque Charles vii entra à Paris, on organisa une grande cavalcade ; l’auteur des Récréations historiques en décrit le pittoresque arrangement. À la porte Saint-Denis, une fontaine « jettoit du lait, du vin vermeil et du vin clairet », — première apparition symbolique des trois couleurs nationales.