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Page:Witkowski, Nass - Le nu au théâtre depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, 1909.djvu/54

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le nu au théâtre

sentée à Rouen en 1615 par les Confrères de la Passion, est aussi un exemple typique de réalisme scénique. Agnès, préférant comme époux Jésus-Christ à Martian, fils de Simphrosime, gouverneur de Rome, celui-ci la condamne à être livrée aux libertins, dans une maison de prostitution. Nous y reviendrons au livre second :

Trente ans après l’Agnès de Trotterel, Corneille faisail représenter, dans sa ville natale, une saint Théodore, vierge et marture. On sait que cette sainte fut également condamnée à subir l’infamie du lupanar. « Cette tragédie, dit Hippolyte Lucas, offre un tableau révoltant, que Corneille, abandonné de son génie, n’a racheté par aucun genre de beauté. Imitons le fils de Noé : jetons le manteau de l’oubli sur cette triste nudité. » Tartuffe, Cafardin et Cie !

Nous trouvons encore à la même époque l’inévitable Jugement de Pâris, qui décidément a hanté les cervelles de bien des dramaturges. Cette pièce fut représentée à Béziers, vers 1628. Bien entendu les trois déesses se présentent devant le juge, mais habillées ; celui-ci les invite à se dévêtir et leur tient ce langage catégorique :

Déesses, ce seroit un jugement volage,
De juger d’un soleil à travers un nuage.
Votre riche parure ombrage vos thrésors ;
Ces beautés sont dedans ; il les faut voir dehors ;
Il vous faut exhiber à mes yeux toutes nues.

Vénus, Junon et Minerve obtempèrent immédiatement et se soumettent à l’expertise en présence du public.

Enfin, dans la deuxième moitié du siècle, on représenta une tragédie sacrée : le Martyre de la glorieuse sainte reine d’Alize (1664), qui ferait les délices de notre moderne Grand-Guignol[1]. C’est, en effet, du théâtre d’épouvante. On écorche vive la sainte, on la fouette copieusement, on la submerge dans une cuve pleine d’eau. Olibrius excite les bourreaux :


Viste, soldats, au feu ! brûlez-lui les côtés,
Faites-lui endurer mille autres nouveautés.

Citons encore le Martyre de sainte Catherine, tragédie en cinq actes et en vers de Boissin de Gallardeau, qui fut représentée au début du dix-septième siècle ; on y voyait la femme de l’empereur Maxence torturée sur l’ordre de son auguste époux ; avant de lui trancher la tête, le bourreau lui arrachait les seins. Évidemment il était nécessaire, pour donner l’illusion de la réalité du supplice, de recourir à un truquage habile, à une « feinte » : deux vessies de porc, recouvertes de satin, simulaient les appas féminins que devaient trancher les cisailles du bourreau.

  1. Le texte exact de la tragédie est : Chariot de triomphe tiré par deux aigles, de la glorieuse, noble et illustre bergère Sainte Reine d’Alise, vierge et martyre, par Hug. Millotet, chanoine de l’église collégiale de Flavigny.