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Page:Witkowski, Nass - Le nu au théâtre depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, 1909.djvu/72

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le nu au théâtre

travail de l’acteur, obligé de deviner, pour ainsi dire, la pensée de l’auteur. La Clairon eut un jour à jouer Didon. Afin d’indiquer le désordre que le songe fameux portait dans ses sens, le poète la faisait paraître

...........Dans le simple appareil
D’un beauté qu’on vient d’arracher au sommeil.

Une actrice contemporaine arriverait en scène, corsetée et juponnée, ayant passé par dessus ses vêtements une ample chlamyde. La Clairon jugea sans doute que cet accoutrement serait du chiqué, et elle vint en chemise sur la scène, s’offrir à l’admiration du public.
Fig. 45. — Mlle Du Mesnil (1713-1803)[1].

Il n’y avait dans ce geste, de sa part, nulle impudeur. Certes, la Clairon ne fut point un modèle de vertu, — ses débordements sont restés fameux, — mais elle respectait le théâtre, qu’elle aimait et qu’elle voulait uniquement consacré à l’art. Aussi réprouvait-elle l’indécence de ses camarades, « J’ai vu, écrit-elle, pousser l’oubli de la décence au point de paraître sous la simple enveloppe d’un taffetas couleur de chair, dessinant exactement le nu depuis les pieds jusqu’à la tête ; j’ai vu, sous le nom des personnages les plus importants de l’antiquité, de chétives filles de journée ployées en deux, tapant du pied, se battant continuellement les flancs, s’appuyant sur les hommes et s’en laissant toucher avec la familiarité la plus révoltante… »

Aussi, son apparition en chemise devant un public plus ravi que scandalisé, ne fut point motivée par un besoin d’impudique réclame, mais par un réel souci esthétique. Toutefois la police le jugea autrement, et, à la seconde de Didon, la reine de Carthage parut en scène moins sommairement vêtue.

La réforme du costume dramatique était dès lors entreprise. Plus de vérité, moins de fantaisie luxueuse et déplacée, tel était le principe de cette inoffensive révolution. Ce fut Mme Favart (fig. 46) qui le consacra, et non sans peine. Elle eut des difficultés inouïes pour faire triompher sa manière de voir ; le public ne pouvait admettre, par exemple, qu’elle parût en robe de laine et en sabots,

  1. Marie Du Mesnil, rivale de Mlle Clairon, fut surnommée la Jacobine, du jour où on la surprit en partie fine avec deux Jacobins, ce qui était moins compromettant qu’avec un seul.