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Page:Witkowski, Nass - Le nu au théâtre depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, 1909.djvu/8

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avant-propos

jeunes élèves, est le même État qui dit aux artistes actuellement poursuivies :

« Vous avez joué Galatée, mademoiselle ? Je vous envoie à Saint-Lazare. Vous êtes jeune, vous aviez, sans doute, comme toutes les jeunes actrices, beaucoup d’ambition ; vous espériez quitter un jour le music-hall pour le petit théâtre, monter de là jusqu’à la grande scène et terminer votre carrière dans un théâtre subventionné. Eh bien, laissez toute espérance. Je vous donne un casier judiciaire qui vous fermera même la porte de l’Odéon. Je vous chasse de l’art officiel. »

Il y a des heures… M. Henry Maret vous a dit cela mieux que personne… il y a des heures où l’on se demanderait volontiers si le recueil de nos coutumes a été formé par des hommes en possession de toutes leurs facultés mentales.

L’incohérence de ces jugements apparaîtra mieux encore si nous comparons leurs motifs.

Ce sont « les intérêts de l’art » qui commandent d’imposer le spectacle du nu rue Bonaparte. Les mêmes intérêts autorisent dans les salles de nos musées le mélange des sujets nus et des sujets habillés, de telle sorte que personne ne peut montrer à son fils un austère Philippe de Champaigne, sans lui présenter en même temps une petite amie de Fragonard, toute nue sur son lit d’amour, la chemise enlevée et les jambes au plafond.

Mais dans les théâtres, qui nous laissent, au contraire, une pleine indépendance de choix (les pères étant parfaitement libres de conduire leurs filles à la Comédie-Française sans les mener à l’Olympia), là, les intérêts de l’art n’autoriseraient plus rien. On ne les voudrait ni pour raison ni pour excuse, et le Conservatoire, soumis à la Direction des Beaux-Arts, serait exclu de l’Art lui-même, puisqu’on lui en dénierait les privilèges.

Or, le Théâtre est bien plus qu’un art : il est le Parnasse tout entier. Le peintre et l’architecte lui apportent leurs décors, le poète son livret, le musicien sa partition, l’acteur son jeu, le chanteur sa voix humaine, l’instrumentiste sa voix surhumaine ; et l’ingénieur lui porte ses machines, le joaillier ses bijoux, l’artisan ses meubles, ses vases, ses costumes ; et le savant est là qui collabore, l’archéologue est là qui conseille, l’historien est appelé, donne son avis, dirige. Un opéra résume l’effort intellectuel de toute une époque[1].

  1. M. Gailhard, ex-directeur de l’Opéra, interviewé sur la question du nu au théâtre, répondit : « Qu’au fond d’une vaste scène, dans une apothéose, une femme surgisse nue, cela est beau ; c’est de l’art.

    « Et je n’aurais pas hésité à présenter, sur la scène de l’Opéra, une