Page:Wolf - Les Hypothèses cosmogoniques, suivies de la Théorie du ciel de Kant, 1886.djvu/222

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au temps qu’elle a employé à l’accomplir. Il ne lui faut pas moins qu’une éternité pour peupler toute l’étendue sans limites de l’espace infini de mondes sans nombre et sans fin. On peut dire d’elle ce qu’a écrit de l’éternité le plus éminent des poètes allemands :

Unendlichkeit ! Wer misset Dich ?
Vor Dir sind Welten Tag, und Menschen Augenblicke ;
Vielleicht die tausendste der Sonnen wälzt jetzt sich,
Und tausend bleiben noch zurücke.
Wie eine Uhr, beseelt durch ein Gewicht,
Eilt eine Sonn’, aus Gottes Kraft bewegt :
Ihr Trieb läuft ab, und eine andere schlägt,
Du aber bleibst, und zählst sie nicht[1].

Von Haller.

Ce n’est pas un mince plaisir que de laisser l’imagination s’égarer jusqu’aux limites de la création accomplie, dans la région du chaos, et d’y voir les traces de formation, sensibles encore au voisinage de la sphère du monde déjà formée, s’effacer peu à peu en passant par tous les degrés et les ombres de l’imperfection jusqu’à se perdre dans l’espace absolument informe. Mais n’est-ce point une audace blâmable, dira-t-on, que de mettre en avant et de préconiser comme un sujet de divertissement de l’esprit cette hypothèse peut-être purement arbitraire, que la nature n’est aujourd’hui formée que dans une partie infiniment petite de son étendue, et que des espaces infinis sont encore en lutte avec le chaos, pour produire dans la suite des temps des multitudes admirables de mondes et de systèmes réguliers ? Je ne suis pas assez opiniâtrement attaché aux conséquences qui découlent de ma théorie, pour ne pas reconnaître que l’hypothèse d’une extension progressive de la création à travers les espaces infinis, qui en contiennent la matière première, n’est pas entièrement à l’abri du reproche d’improbabilité. Cependant j’ose espérer que les esprits capables de juger du degré

  1. Ô Éternité ! qui a pu te mesurer ? Devant toi les mondes sont des jours et les hommes des instants ; la millième partie peut-être des soleils se meut aujourd’hui, et des millions restent encore en arrière. Comme une horloge qu’un poids anime, un Soleil se hâte, poussé par la puissance de Dieu ; sa force s’épuise et un autre s’élance. Mais toi, tu demeures, et ne les comptes pas.