Page:Wylm - L'Amant de la momie, paru dans Le Matin, 24-10-1912 au 06-12-1912.djvu/28

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visibles, mais aucune malignité ne s’observait dans les manifestations.

Rogers se familiarisa tellement avec ces phénomènes qu’il finit par n’éprouver aucune crainte. Les choses prirent assez rapidement une allure plus systématique.

Le précepteur se retirait entre dix et onze heures ; vers onze heures et quart, il entendait le soupir habituel, les mots Rotcherssé et Nefert-thi, puis des phrases assez mal articulées, qu’il percevait d’une manière imparfaite.

S’il était couché, il sentait quelqu’un s’asseoir au pied de son lit ; les rideaux de sa fenêtre se soulevaient comme si la personne présente eût voulu jeter les yeux au dehors ; quelquefois un siège glissait jusqu’au chevet de son lit, et l’invisible paraissait y prendre place. Qu’un vêtement reposât sur le siège, il se jetait, en apparence de lui-même, sur le sol.

La « présence » — Rogers avait l’impression qu’une personne invisible était présente — la « présence » devenait plus familière à mesure que le temps s’écoulait : elle semblait s’habituer aux phénomènes qu’elle déterminait, et les produire avec plus de facilité et de force.

Un jour, l’étrange visiteur vint s’asseoir à côté du jeune homme, qui sentit une main, identique à celle dont il avait déjà éprouvé le contact, se poser sur sa propre main. Rogers ne fut pas trop effrayé, il eut même le courage de palper cette main qu’il ne voyait pas. Elle était étroite, allongée, extraordinairement douce. C’était une main de femme, une main droite. Il toucha des bagues et les compta. Il y en avait cinq, une à l’index, au médius et au petit doigt, deux à l’annulaire ; trois de ces bagues étaient munies de cabochons, deux étaient ciselées.

La main devint caressante, elle se laissa complaisamment examiner, puis se promena doucement sur le visage du précepteur. En même temps, la voix murmurait, avec un accent très tendre, mais avec une intonation rauque, les mots : Rotcherssé Nefert-thi. Inquiété par cette hardiesse, Rogers sentit un frisson glacé lui parcourir la moelle.

Jusque-là son émoi n’avait été qu’à fleur d’épiderme pour ainsi dire, mais ce frôlement, si doux qu’il parût fit perler la sueur à ses tempes. Qu’adviendrait-il si l’être invisible avait la soudaine fantaisie de l’étrangler, de l’aveugler ? Comment se défendre contre une attaque imprévue, contre des coupa qui le frapperaient sans qu’il pût voir d’où ils venaient ?