Page:Wylm - L'Amant de la momie, paru dans Le Matin, 24-10-1912 au 06-12-1912.djvu/84

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mon art, de cet art qui a été la cause de mon malheur. Qu’Aten soit miséricordieux !

» Il monta sur sa barque, soutenu par ses esclaves, car il ne pouvait supporter la lumière du jour et avait un bandeau sur les yeux ; il descendit le Nil et se rendit au temple.

» Je parus, je posai ma main sur son front, je frottai ses yeux avec mes doigts imbibés d’une eau magique et aussitôt Améni put revoir la lueur brillante du soleil.

» Alors il me regarda, et le feu qui brûlait ses yeux se précipita sur mon cœur : il me regarda encore et je ne vis plus que lui au monde. J’oubliai mon père et ma mère, j’oubliai Aten lui-même, le puissant, l’unique !

» Et je ne jouais plus de la harpe, et je ne chantais plus pour le dieu auquel j’étais vouée, mes doigts ne savaient plus trouver les accords qui réjouissent l’oreille d’Aten, ma voix ne connaissait plus les hymnes qui touchent son cœur… Cependant quand j’étais seule, les chants d’amour me venaient naturellement aux lèvres, comme je les avais entendus le soir, lorsque les courtisanes se promènent en bateau sur la fraîcheur du Nil, avec leurs amoureux et leurs esclaves ioniennes aux voix mélodieuses, aux doigts habiles à faire vibrer la harpe à sept cordes.

» Aten avait décidé sans doute ma perte. Un soir — la lune nouvelle avait mis son voile noir — un esclave, de ceux qui soignaient les jardins, m’apporta un bouquet de fleurs de lotus, il s’agenouilla pour me le présenter, et je laissai mon regard errer sur lui, et je reconnus Améni qui s’était déguisé. Il avait revêtu le costume des jardiniers du temple pour s’approcher de moi.

» Et il me dit :

» — Reine, ton esclave se jette à tes genoux ! Depuis qu’en s’ouvrant à la lumière, sous ta main bénie, mes yeux ont vu ton doux visage, ils ne peuvent voir autre chose. Ton image est sans cesse devant eux, et ils la contemplent, qu’ils soient ouverts par la veille ou fermés par le sommeil.

» — Va-t’en, Améni, va-t’en ! Si tu étais reconnu, ton corps servirait bientôt de nourriture aux crocodiles sacrés du lac.