Page:Wyzewa - Beethoven et Wagner, 1898.djvu/205

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Mais ce qu’il y de plus trafique, dans cette désillusion du philosophe, c’est qu’en effet ses illusions n’avaient pas été sans fondement. Non que Wag-iier, comme nous l’avons vu, lui ait fait jamais aucune promesse, ni que, « à eux deux, » ils aient jamais rêvé en commun une œuvre auprès de laquelle l’œuvre de Bayreuth n’aurait été qu’une « farce ». Mais cette œuvre idéale, Nietzsche avait conscience de l’avoir exposée dans ses livres, où Wagner n’avait vu qu’un éloge de son génie. Il ne se trompait pas en affirmant, plus tard, que le drame dionysiaque dont il avait prêché la résurrection était supérieur mille fois à ce qu’il appelait « l’opéra wagnérien ». Il lui était supérieur comme l’est toujours l’idéal à la réalité.

Le drame de Wagner avait seulement pour lui d’être réel, de vivre, tandis que celui de Nietzsche n’existait qu’en idée. Et c’est là, je crois, l’explication dernière du malentendu si tristement prolongé entre les deux amis. L’un était un penseur, l’autre un artiste et un homme d’action ; et tous deux n’attachaient d’importance véritable qu’à ce pour quoi leur nature les avait créés. Ainsi, pour Wagner, les théories n’étaient au fond qu’un divertissement, ce qui ne l’a pas empêché d’ailleurs de créer une des doctrines aritistiques les plus belles qui soient. Et Nietz-