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traitant la poésie comme un métier, aux heures de la tâche. Non davantage un aristocrate, un seigneur de la Pensée, à la façon de Balzac ou du comte de Villiers de l’Isle-Adam, perdus, presque sans autre conscience, dans les enchantements d’une vie supérieure qu’ils évoquent d’instinct. Mais un artiste ; il savait que l’Art est un travail, différant de la vie banale, et pour ce motif, il l’aimait. Cette destination artistique est facilement perçue dans les premiers vers du poète : c’est une sincérité, un effort à éprouver les émotions qu’il traduit ; c’est encore la préférence, à toutes images naturelles, d’images plus affinées ; une curiosité des parfums exquis, des meubles, des tapisseries, des étoffes très rares. Les sujets même, pareils à ceux de Baudelaire, disent un choix d’artiste. M. Mallarmé voyait ce monde de nos réalités, et, au dessus, le monde plus joyeux de l’Art : cette double vision, simultanée, elle tient l’explication de l’œuvre prochaine. Déjà, aux débuts, il voulait évoquer le monde supérieur, désiré : l’évoquer par une intelligente volonté d’artiste logicien, non par un métier, ou une disposition naturelle et irraisonnée. Et il a dédié, dès ce moment, sa vie à l’œuvre de l’Art.

Noterai-je, dans les vers anciens, quelque autre qualité du poète ? Une tendance à voir toutes choses comme des symboles. Un hôpital ? c’est notre vie. Le sonneur ? c’est le poète invoquant l’idéal. La rose ? c’est Hérodiade. Nous sommes loin des images de Hugo, rapides et fortuites, tropes scolaires vite abandonnés : voici, déjà, la vie entière considérée sous un double aspect, réel et fictif. L’artiste voit constamment, avec une égale sûreté, les deux mondes : et il transpose dans l’Art toute réalité sensible.