Page:Wyzewa - Mallarmé, notes, 1886.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans notre âme ! M. Mallarmé fut amené, par une longue réflexion, à d’autres écritures. Il a voulu vivre d’abord la phrase entière, c’est-à-dire l’idée, toute, avec ses détails, leurs plans divers, les attitudes et les nuances des sensations. Puis il a, sincèrement, écrit sur le papier toute sa vision de cette idée : il nous a restitué, intacte, la phrase vécue : respectant l’ordre des sensations, les incidences, les plans que tenaient les parties, dans son âme. Une prose sincère, obscure aux lecteurs des journaux, mais donnant aux artistes la jouissance incomparable d’une haute pensée traduite objectivement.

V

Ces poèmes et ces proses : M. Mallarmé n’a point publié d’autres œuvres : de celles-là, seulement, j’ai pu tenter l’analyse. Il ne s’est point arrêté, cependant, à ces formes qu’il avait créées. Logicien, il a poursuivi ses recherches, et, artiste, il les a, constamment, tournées à l’Art. Ainsi il a entrevu une œuvre nouvelle ; non publiée encore, ni, je crois, achevée. J’en voudrais indiquer brièvement les traits essentiels ; les traits, du moins, issus directement des réflexions antérieures que j’ai notées.

« L’œuvre la plus haute de la Nature, dit, quelque part, M. Séailles, ce sont les religions et les métaphysiques : son dernier effort, c’est l’effort pour composer dans l’esprit de l’homme un vaste poème idéal… Et l’esprit est le prophète de la nature : en lui elle agite le pressentiment de ses mondes futurs. » Ces mots résument l’histoire philosophique de M. Mallarmé[1].

  1. G. Séailles, Essai sur le génie dans l’art, iv. Alcan, 1883.