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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/128

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NOS MAÎTRES

genre de symbolisme est souvent indispensable dans l’art, surtout dans les arts naissants qui s’adressent à des âmes simples et nombreuses. Mais je crois qu’un art supérieur doit tendre à l’éviter : une pensée exprimée sous sa forme exacte, fût-elle abstraite, risque davantage de n’être point comprise par tous : mais ceux qui la comprennent la possèdent mieux, ainsi exprimée, partagent plus intimement la conception de l’artiste. Il est sûr du moins que l’école de nos jeunes poètes symbolistes ne donne pas au mot symbole cette signification : elle néglige les sujets philosophiques, les doctrines abstraites, et sans doute elle n’éprouve aucun besoin de rendre sa pensée plus accessible aux masses. J’en suis venu à imaginer que, pour ces poètes, le symbolisme consiste dans la simple substitution d’une idée à une autre. Ainsi, voulant exprimer la sensation odorante d’une fleur,’et ne trouvant aucun mot propre pour l’exprimer directement, je me résoudrais à la qualifier symboliquement de gris perle.

L’exercice peut délasser quelques âmes choisies : mais je couiprends assez peu sa valeur artistique. Plutôt que de s’acharner à cet échange de sensations, ne vaudrait-il pas mieux élargir le vocabulaire, laisser aux termes qui s’y trouvent leur signification spéciale, et atteindre ainsi à cet idéal d’une pensée traduite adéquatement ? Je pense même que la rénovation véritable de notre littérature (je ne dis pas de notre poésie, car qu’est-ce que ces questions de grammaire et de symbole peuvent faire à la poésie ?) serait dans une pratique inverse de celle que rêvent les symbolistes. Il n’y aurait pas à détour-