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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/237

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M. ANATOLE FRANCE

seulement le tort d’exprimer, et la faiblesse de mettre en beau langage, sans savoir que combattre l’art avec art et l’esprit avec esprit, c’est se condamner à ne vaincre que pour l’esprit et pour l’art. »

Et le sage ami de M. France procède ensuite à développer pour son compte les doctrines de ce prophète ami des hommes : il le fait, comme vous pouvez penser, avec un art et un esprit merveilleux. Mais je soupçonne son ignorance d’être mieux gardée qu’il ne le croit, car ce prophète dont il parle, et que M. France aurait contredit, ce prophète ne saurait être personne que M. France lui-même. C’est lui qui, le premier, nous a clairement enseigné que « la science et l’intelligence étaient la source et la fontaine, le puits et la citerne, de tous les maux dont souffraient les hommes ». Et lui seul a eu l’heureuse faiblesse de « mettre ces préceptes en un beau langage ».


En un langage d’une beauté singulière, qui me ravit plus profondément encore que les plus sages préceptes. C’est le langage tout ensemble d’un poète et d’un conteur, d’un écrivain d’aujourd’hui et d’un écrivain d’autrefois. Il est plein de vives images, de rythmes légers, d’une harmonie passionnée et douce : l’inquiétude, la lièvre, l’agitation maladive de nos âmes d’à présent s’y trouvent fidèlement reflétées, et l’on y entend lécho de toutes nos tristesses. Mais la langue de M. France n’en reste pas moins toujours, au fond, la langue simple, précise, claire et sobre des grands auteurs des siècles passés. Et c’est pour cela surtout qu’elle