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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/276

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NOS MAÎTRES

Il ne se souciait pas de faire à l’inverse de son prédécesseur, mais, au contraire, de faire comme son prédécesseur. Et si, par là-dessus, il avait du génie, il n’en était que plus à l’aise pour en tirer avantage : car, travaillant dans une forme qui lui était familière, et qui l’était au public, il n’avait plus qu’à user suivant son cœur du métier qu’il tenait en main, et la moindre de ses inventions avait chance d’être goûtée aussitôt. Fra Angelico, Raphaël, étaient des artisans, occupés à traduire leurs sentiments à eux dans le style de leurs maîtres ; Bach était un consciencieux organiste ; Mozart, quand il a connu Bach, s’est mis tout de suite à l’imiter ; et Beethoven s’est exténué quarante ans à vouloir imiter Mozart. Notre cher Ronsard, pour ne parler que de littérature, se serait fâché si on lui avait dit qu’il n’imitait pas les anciens poètes, et on sait assez que la seule ambition littéraire de Racine a été d’imiter Euripide.

Mais on nous a changé tout cela, depuis cinquante ans. À la place de l’artisan, on nous a infligé l’artiste. L’homme qui fabriquait des tableaux s’est cru d’une espèce plus haute que celui qui fabriquait des cadres ; et il s’est imaginé que son premier devoir était l’originalité, qui n’aurait dû être qu’un extra, quelque chose comme le parfum qui s’ajoute par surcroît à la beauté d’une fleur.

Il en est résulté que tous, artistes et public, nous avons perdu depuis cinquante ans tout ce qui nous permettait de produire et d’apprécier de belles œuvres d’art. Les artistes ont perdu le métier, chacun étant désormais obligé de se constituer un