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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/343

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LA RELIGION DE L’AMOUR ET DE LA BEAUTÉ

n’avoir pas découvert plus que moi la source enchantée. Peu s’en est fallu que je ne soupçonne la source elle-même de ne pas exister, et tout ce qu’on m’avait appris sur la poésie de n’être qu’une mystification, entretenue à travers les siècles.


Mais je sais maintenant que les sources enchantées sont la demeure des fées. Et c’est l’usage des fées de se cacher quand on veut les voir ; mais un jour enfin elles se montrent, blondes et douces, avec des fleurs dans les cheveux. La poésie s’est découverte à moi quand j’ai cessé de la chercher. J’ai compris qu’elle n’était pas une mystification, mais bien la plus charmante, la plus fidèle, la plus réelle des réalités.

On m’avait trompé seulement, en me la présentant comme un art de jeunesse : car il n’y a point d’art qui convienne moins aux jeunes gens. Les années, qui devaient m’éloigner d’elle, ce sont les années qui m’en ont rapproché. Les jeunes gens croient aux idées, aux faits : ils ont beau lire Fichte (ou plutôt se répéter un nombre indéfini de fois le nom de ce philosophe, qui avait abouti lui-même à n’être plus qu’un poète) : ils croient à la réalité du monde qui s’agite devant leurs yeux. Que feraient-ils de la poésie ? L’intrigue d’un roman, la nouveauté d’un paradoxe, l’imprévu d’une information, tout cela suffit à les occuper, sans compter leurs ambitions personnelles, leurs petits embarras d’amour ou d’argent. Ils pensent, ils agissent, ils vivent : la poésie ne saurait les toucher. Pour se reposer avec bonheur dans l’harmonie d’une belle