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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/352

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NOS MAÎTRES

gène ; et puis, quand il s’est installé, il lui arrive bientôt de nous gêner à son tour. C’est qu’il n’est point chez lui ; et, d’année en année, il y sera moins, car on dirait que d’année en année Paris s’éloigne de Marseille pour remonter vers Bruxelles. Je ne crois pas que l’on puisse comprendre le soleil, ni l’aimer comme il convient, quand on l’a connu seulement durant ces excursions d’été qu’il fait dans nos contrées. Tout autre il apparaît chez lui, en Italie, en Espagne, en Algérie, dans ses domaines familiaux.

Et l’on ne m’ôtera point de l’esprit que, parmi tous ses domaines, c’est la Provence qu’il préfère. Il n’y est point seul maître : la bise en certaines saisons lui donne mille ennuis, sans compter ce fâcheux vent d’est qui, pendant des journées entières, le retient prisonnier. Mais au fond il est le plus fort, et ses victoires sont pleines de douceur. Du jour au lendemain, par la grâce de son sourire, tout renaît : une clarté tranquille s’étend sur les collines, les oiseaux chantent dans les buissons fleuris, et les cœurs se reprennent à leurs petits rêves. Nulle autre part qu’en Provence je n’ai connu un enchantement si paisible ; nulle autre part je n’ai vécu des journées d’une sérénité si parfaite. Une beauté harmonieuse, pure, vraiment classique, pénétrait tous mes sens. Les contours de ma rêverie se dessinaient en moi avec une netteté singulière, de même que se dessinaient à l’horizon de ma vue les lignes tordues des oliviers, et les triangles roses des voiles sur la mer. Et ces matinées de printemps, tièdes et légères, et ces soirs d’hiver où le soleil en se cou-