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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/61

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L’ART WAGNÉRIEN

instrumentale par Wagner, qui n’a point annulé les airs, et les cadences, et les retours, mais leur a donné un sens particulier, et les a employés seulement pour produire certaines émotions très spéciales.

Un jeune poète, M. Laforgue, tout en maintenant la forme du vers, a osé déjà varier les rythmes suivant des raisons précises, et violer les sottes règles dites « pour les yeux » : comprenant que les sonorités seules importaient dans la poésie, et qu’un terme singulier y pouvait bien rimer avec un terme pluriel, s’ils avaient même façon d’être prononcés.

J’ai vainement cherché hors de France un musicien des mots. Les nouveaux poêles anglais ne diffèrent des anciens, de Byron et de Keats, que parce qu’ils ont un moindre talent. En France, aussi, les poètes deviennent plus rares, de génération en génération. Mais cette mort de la poésie ne détruit point la possibilité d’une littérature émotionnelle. La musique des mots peut en effet être aussi clairement et plus entièrement exprimée par une prose : une prose toute musicale et émotionnelle, une libre alliance, une alliance harmonieuse de sons et de rythmes, indéfmiment variée suivant l’indéfini mouvement des nuances d’émotion. J’admire cette musique, — grandement savante déjà et combien superbe ! — dans les confessions de l’anglais Quincey ; je l’admire dans les miraculeuses évocations de Michelet, dans les rêveries de M. Renan et les chroniques de M. France, mais surtout dans quelques pages prestigieuses du