Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/143

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à Harmène[1], port de cette ville. Sinope est en Paphlagonie, c’est une colonie des Milésiens. Les habitants envoient aux Grecs des présents hospitaliers, trois mille médimnes de farine d’orge et quinze cents cérames[2] de vin. Chirisophe y arrive avec des trirèmes. Les soldats espéraient qu’il leur amenait autre chose ; mais il n’amenait rien. Il annonce seulement qu’Anaxibius, chef de la flotte, ainsi que tous les autres, fait l’éloge de l’armée, et qu’Anaxibius leur promet une solde au sortir de l’Euxin.

Les soldats restent toujours à Harmène. Comme ils se sentent près de la Grèce, ils songent plus que jamais aux moyens de ne pas rentrer chez eux les mains vides. Ils jugent donc qu’en choisissant un seul chef, un seul pourra mieux que plusieurs imposer sa volonté à l’armée la nuit ainsi que le jour ; s’il faut garder quelque secret, il pourra mieux l’empêcher de se répandre. S’il est nécessaire dé prévenir l’ennemi, il perdra moins de temps ; il ne faudra plus de confidence ; mais un seul fera exécuter ce qu’il aura décidé, tandis qu’auparavant les stratèges faisaient tout à la pluralité des voix.

Occupés de ces pensées, ils songent à Xénophon. Les lochages viennent le trouver et lui disent que c’est le vœu de l’armée. Chacun, lui témoignant son affection, l’engageait à se charger du commandement. Xénophon y inclinait, croyant que ce serait pour lui la source d’une plus grande gloire, le moyen de se faire un nom plus illustre parmi ses amis et dans sa ville natale : peut-être même l’armée lui devrait-elle de nouveaux services.

Ces réflexions l’entraînaient à désirer devenir commandant en chef ; mais quand il songeait que personne ne peut lire dans l’avenir et qu’il risquait de perdre dans ce rang la gloire qu’il avait acquise, il hésitait. Dans cette perplexité, il croit que le meilleur parti à prendre est de consulter les dieux. Il conduit deux victimes devant les autels, et sacrifie à Jupiter Roi, qui lui avait été désigné par l’oracle de Delphes. C’était (railleurs à ce dieu qu’il attribuait l’envoi du songe qu’il avait eu quand il commença à prendre sa part des soins dus à l’armée. Il se ressouvenait aussi qu’à son départ d’Éphèse, pour être présenté à Cyrus, il avait entendu à droite le cri d’un aigle posé à terre ; le devin qui l’accompagnait alors lui avait dit que c’était l’au-

  1. Port de mer, à 40 stades de Sinope.
  2. Vase d’une capacité correspondant à un peu plus de 28 litres.