Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/18

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avons fait bon nombre de prisonniers, et dont nous avons pillé les effets. » Ainsi parla ce soldat ; Cléarque dit ce peu de mots : « Quant à me mettre à la tête d’une semblable expédition, qu’aucun de vous ne m’en parle : je vois maintes raisons de n’en rien faire ; mais l’homme que vous aurez choisi pour chef, je lui obéirai de tout cœur. Vous savez que je sais me soumettre aussi bien que personne. »

Alors un autre se lève, fait remarquer la simplicité de celui qui conseille de demander des vaisseaux à Cyrus, comme si celui-ci n’en avait pas besoin pour son retour, et fait observer combien il serait naïf de demander un guide à celui « dont nous ruinons, dit-il, l’entreprise. Si nous nous fions à un guide que nous aura donné Cyrus, qui nous empêche de prier Cyrus de s’emparer pour nous des hauteurs ? Pour ma part, j’hésiterais à monter sur les vaisseaux qu’il fournirait, de peur qu’il ne voulût nous couler avec ses trirèmes. Je craindrais de suivre le guide qu’il nous donnerait, de peur qu’il ne nous engageât dans quelque pas d’où il fût impossible de sortir. Je voudrais, si je pars contre le gré de Cyrus, m’en aller à son insu, ce qui n’est pas possible. Je dis donc que tout cela n’est que folies. Je suis d’avis qu’on envoie des hommes à Cyrus, des gens capables, avec Cléarque, pour lui demander ce qu’il veut faire de nous. S’il s’agit d’une expédition du genre de celle où il a déjà employé des troupes étrangères, suivons-le et ne nous montrons pas plus lâches que celles qui sont allées avec lui dans les hauts pays. Si c’est une entreprise plus considérable, plus pénible, plus périlleuse, il faut ou qu’il nous détermine à le suivre, ou que, convaincu par nous, il consente d’amitié à nous laisser partir. Par là, si nous le suivons, il trouvera en nous des amis, des gens de cœur ; si nous partons, notre retraite ne sera point inquiétée. Quoi qu’il réponde à cette proposition, qu’on le redise ici ; après l’avoir entendu, nous délibérerons. »

Cet avis prévalut. On choisit des hommes qu’on lui envoie avec Cléarque, et qui demandent à Cyrus ses projets d’expédition. Il répond qu’il a appris qu’Abrocomas, son ennemi, est à la distance de douze étapes aux bords de l’Euphrate ; qu’il veut donc les mener contre lui et le punir s’il l’y rencontre ; mais s’il a fui, « nous délibérerons alors sur ce qu’il faudra faire. » Ces mots entendus, les envoyés les rapportent aux soldats : ceux-ci soupçonnent qu’on les conduit contre le roi : cependant ils se décident à suivre. Comme ils demandent une paye plus forte,