Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/377

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piller : car je crois que la ville serait désormais ruinée, et je suis sûr que les plus mauvais auraient la meilleure part du butin. » Crésus en entendant ces mots : « Eh bien, permets-moi de dire à qui je veux des Lydiens que j’ai obtenu de toi que la ville ne fût pas pillée, qu’on ne les sépare ni de leurs femmes, ni de leurs enfants ; que je t’ai promis, pour prix de cette grâce, qu’ils t’apporteront d’eux-mêmes tout ce que Sardes renferme de précieux et de beau. Je suis sûr qu’une fois instruits de cela, ils s’empresseront, hommes et femmes, de t’offrir tous les objets de quelque valeur qu’ils ont en leur possession. Une autre année, tu retrouveras la ville remplie de la même quantité de richesses : si tu la pilles, les arts eux-mêmes, qu’on dit la source de l’opulence, seront détruits. Il te sera, du reste, permis, quand tu auras vu ce qu’on t’apporte, de changer d’avis et de te décider pour le pillage. Mais d’abord charge quelqu’un des tiens d’aller retirer mes trésors des mains de ceux à qui j’en avais confié la garde. »

Cyrus remercie Crésus, et fait ainsi qu’il le lui a conseillé ; puis, lui adressant la parole : « Dis-moi, maintenant, Crésus, à quoi ont abouti les réponses de l’oracle de Delphes : car on assure que tu as toujours honoré particulièrement Apollon et qu’en toutes circonstances tu n’agis que d’après ses conseils[1]. — J’eusse voulu, Cyrus, qu’il en fût ainsi ; mais je n’ai eu recours à Apollon qu’après avoir fait tout le contraire de ce qu’il fallait pour mériter ses faveurs. — Comment cela, dit Cyrus ? dis-le moi : ce que tu dis là m’étonne. Avant d’interroger le dieu sur mes besoins, j’ai voulu éprouver s’il disait vrai. Or, les dieux, pas plus que les hommes beaux et bons, quand ils voient qu’on se défie d’eux, n’aiment ceux qui témoignent cette défiance. Ayant donc reconnu mon erreur, et me trouvant éloigné de Delphes, j’envoie demander au dieu si j’aurais des enfants. Il ne répond rien. Je lui offre quantité d’or, quantité d’argent, et je lui sacrifie des milliers de victimes, et le croyant propice, je lui demande ce que je dois faire pour avoir des enfants. Il me répond que j’en aurai : il ne me trompait point : je devins père ; mais à quoi m’a-t-il servi de l’être ? L’un de mes fils est muet[2] : l’autre, nature d’élite, est mort à la fleur de l’âge[3]. Accablé de ce double malheur, j’envoie demander au

  1. Cf. Hérodote, liv. I, particulièrement chap. XLVI et suivants ; et plus loin, chap. XCI.
  2. Cf. Hérodote, liv. I, chap. LXXXV.
  3. Cf. Hérodote, liv. I, chap. XXXIV et suivants.