Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/390

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Ainsi parle Cyrus. Artabase, celui qui s’était donné autrefois pour son cousin, se lève et dit : « Certes, tu as bien fait, Cyrus, d’entrer dans ce propos. Pour ma part, quand tu étais encore un enfant, j’ai souhaité vivement devenir ton ami ; mais voyant que tu n’avais pas besoin de moi, j’hésitais à te rechercher. Il arriva, depuis, que tu me prias d’annoncer aux Mèdes la volonté de Cyaxare ; je pensais en moi-même que, si je te servais avec zèle en cette occurrence, je serais admis dans ton intimité, et que j’aurais la liberté de converser avec toi aussi longtemps que je le voudrais. Je m’acquittai de ma mission de manière à obtenir tes éloges. Peu de temps après, les Hyrcaniens viennent solliciter notre amitié ; nous étions pauvres d’alliés : nous les accueillons à bras ouverts. Nous nous rendons maîtres du camp des ennemis : tu n’avais pas alors, je le sais, le temps de penser à moi ; je te le pardonne. Gobryas devient notre allié ; j’en suis ravi. Gadatas en fait autant : c’était une difficulté de plus d’arriver à toi ; puis, quand les Saces et les Cadusiens deviennent nos alliés, il est juste que tu aies pour eux des égards : ils ont, en effet, mille égards pour toi. Revenus au lieu d’où nous étions partis, je te vois embarrassé des détails afférents aux chevaux, aux chars, aux machines, et j’espère qu’aussitôt que tu seras libre, j’obtiendrai de toi quelques moments. Mais survient alors l’effrayante nouvelle que tout le monde est ligué contre nous : je comprends la gravité de la situation ; médisant toutefois que, si les affaires tournent bien, il y aura désormais plénitude absolue d’intimité entre nous. Enfin, nous remportons une grande victoire : Sardes et Crésus sont en notre pouvoir ; nous sommes maîtres de Babylone ; tout nous est soumis. Cependant, j’en jure par Mithra, si je ne m’étais fait jour hier, en poussant à droite et à gauche, je ne serais jamais arrivé jusqu’à toi ; et lorsque, en me prenant la main, tu m’as ordonné de rester, cette distinction n’a servi qu’à faire remarquer à tout le monde que j’avais passé auprès de toi toute la journée sans boire ni manger ; aujourd’hui donc, s’il peut se faire que nous, qui t’avons donné beaucoup, nous ayons la faculté de te voir aussi le plus librement, tout est dans l’ordre ; autrement, je fais annoncer par ton ordre que tout le monde ait à s’éloigner de toi, excepté nous, qui, dès le principe, sommes tes amis. »

À cette conclusion, Cyrus et la plupart des chefs se mettent à rire ; le Perse Chrysantas se lève alors et dit : « Jadis, Cyrus, tu ne pouvais te dispenser de te montrer à tous, soit pour les raisons que tu as dites, soit parce que tu ne nous devais