Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/404

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Il en usait de même pour les serviteurs dont il avait à se louer. De plus, il faisait apporter sur sa table toutes les viandes qui leur étaient destinées, s’imaginant que ce moyen devait produire chez eux, comme dans les chiens, un attachement plus grand pour leur maître. Quand il voulait mettre en honneur quelqu’un de ses amis, il lui envoyait un plat de sa table. Et encore aujourd’hui, quand on voit quelqu’un à qui le roi envoie de sa table, tout le monde a pour lui plus de respect, se figurant qu’ils sont en faveur et en état d’obtenir ce qu’ils demandent. Au reste, ce n’est pas seulement pour cette raison qu’on aime tant les plats envoyés de la table du roi, mais parce qu’en réalité ce qui en vient est de nature à plaire bien davantage : et il n’y a là rien qui doive étonner. De même que les autres arts donnent des produits de beaucoup supérieurs dans les grandes villes, ainsi les plats préparés pour le roi sont de beaucoup mieux apprêtés.

Dans les petites villes ce sont les mêmes gens qui font lit, porte, charrue, table, et qui, de surplus, bâtissent une maison ; heureux quand ces métiers donnent de quoi manger à qui les exerce ! Or, il est impossible qu’un homme qui fait tant de métiers les fasse bien tous. Dans les grandes villes, au contraire, où une foule de gens ont le même besoin, un seul métier nourrit son homme : quelquefois même, il n’exerce pas tout son métier : l’un fait des chaussures d’hommes, l’autre de femmes ; l’un vit seulement de la couture des souliers, l’autre de la coupe du cuir ; l’un taille les tuniques, l’autre ne fait qu’en assembler les parties. Nécessairement un homme dont le travail est borné à un ouvrage restreint doit y exceller. On peut en dire autant de l’art culinaire. Celui qui n’a qu’un homme pour faire son lit, soigner sa salle, pétrir le pain, préparer toutes sortes de ragoûts, doit s’accommoder à tout, comme on le lui présente : mais où chacun a sa tâche particulière, l’un de faire bouillir les viandes, l’autre de les rôtir, celui-ci de cuire le poisson dans l’eau, celui-là de le griller, un autre de faire le pain, non pas de toute manière, mais de la seule qui convienne à son maître, il me semble que là, de toute nécessité, chaque chose doit être faite dans la perfection. Voilà pourquoi les mets qu’on servait chez Cyrus étaient mieux apprêtés qu’ailleurs[1].

Quant aux autres moyens, dont il usait avec adresse pour se

  1. Voyez, pour ce paragraphe, les judicieuses réflexions de M. Adolphe Garnier sur la découverte, faite par Xénophon, des bons effets de la division du travail. Mémoire sur Xénophon, p. 40 et suivantes.