Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/406

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trop admirer : on va même jusqu’à dire qu’il donna des signes non équivoques de honte, pour avoir été vaincu en bons offices rendus à des amis. On raconte qu’il avait coutume de dire que la conduite d’un bon roi ne diffère point, de celle d’un bon pasteur. Comme le pasteur ne tire de profit de ses troupeaux qu’autant qu’il leur donne l’espèce de bonheur dont ils sont susceptibles, de même le roi n’est bien servi par les villes et par les hommes qu’en les rendant heureux. Il n’est pas étonnant que, avec de pareils sentiments, il ait eu l’ambition de se distinguer parmi tous les hommes par sa bienfaisance.

Comme exemple, je rapporterai la belle leçon que Cyrus donna un jour à Crésus. Crésus lui reprocha qu’à force de donner il deviendrait pauvre, tandis qu’il était maître d’entasser dans son palais plus de richesses qu’aucun homme n’en eût jamais possédé. Cyrus, dit-on, lui demanda : « Et combien d’or crois-tu que j’aurais aujourd’hui, si, d’après tes conseils, je l’avais accumulé depuis que je suis souverain et maître ? » Crésus lui fixe une très-grosse somme. Alors Cyrus : « Eh bien ! Crésus, dit-il, envoie avec Hystaspe, que voici, un homme qui ait ta confiance, et toi, Hystaspe, va trouver mes amis : dis-leur que j’ai besoin d’argent pour une affaire, et de fait, j’en ai besoin. Prie chacun d’eux de m’en fournir le plus qu’il pourra, et d’en donner l’état, signé et scellé, à l’envoyé de Crésus, qui me l’apportera. » Il écrit des lettres contenant ce qu’il vient de dire, y appose son sceau, et charge Hystaspe de les porter : par ces mêmes lettres, il demande que l’on reçoive, comme un de ses amis, Hystaspe qui vient les remettre. Aussitôt qu’Hystaspe est de retour avec l’envoyé de Crésus qui apporte les réponses, Hystaspe dit : « Roi Cyrus, tu peux désormais me regarder comme un homme riche : tes lettres m’ont valu d’innombrables présents. — Voilà donc déjà, Crésus, dit Cyrus, un fonds qui nous est assuré ; mais, ajoute-t-il, vois le reste, et calcule les sommes dont je pourrais disposer. » Crésus, dit-on, en fait le calcul : or, il trouve qu’elles excèdent de beaucoup celles que, selon lui, en cas de besoin, Cyrus aurait pu avoir dans ses trésors, en amassant. Ce compte fait : « Tu vois, reprend Cyrus, que je ne suis pas aussi pauvre que tu croyais. Et cependant tu veux que, pour grossir mon trésor, je m’expose à l’envie, à la haine, et que je paye des gens pour le garder. Les amis que j’enrichis, voilà, selon moi, mes trésors : ils sont pour ma personne et pour mes biens une garde plus sûre que ne seraient des mercenaires. Je te ferai pourtant un aveu. Oui, Crésus, cette pas-