Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/436

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Il leur était défendu de faire porter des vases de nuit aux repas, parce qu’on pensait que l’excès de la boisson énerve à la fois le corps et l’âme. La défense subsiste encore, mais ils boivent avec si peu de retenue, qu’au lieu de porter ces vases, ce sont eux qu’on remporte, parce qu’ils ne peuvent plus se tenir droits. C’était chez eux une pratique ancienne de ne jamais boire ni manger chemin faisant, et de ne se permettre publiquement aucun des besoins qui en sont la suite. Cette pratique subsiste encore, mais ils font des marches si courtes, que leur abstinence n’a rien de merveilleux.

Autrefois, ils allaient si fréquemment à la chasse, que cet exercice suffisait pour tenir en haleine les hommes et les chevaux. Depuis que le roi Artaxercès et ses compagnons se sont adonnés au vin, ils ont renoncé à la chasse ; et si quelqu’un, pour s’entretenir dans l’habitude de la fatigue, a continué de chasser avec ses cavaliers, il s’est attiré la haine de ses égaux, qui lui en veulent d’être meilleur qu’ils ne sont.

L’usage d’élever les enfants aux portes du palais s’est maintenu jusqu’à présent ; mais on néglige de leur enseigner à monter à cheval, parce qu’il n’y a plus d’endroits où ils puissent faire briller leur adresse. L’habitude que prenaient les enfants d’entendre juger des procès suivant la justice et d’apprendre ainsi à devenir justes, est également perdue. Ils voient trop clairement triompher ceux qui donnent davantage. Les enfants apprenaient encore à connaître les propriétés des plantes que produit la terre, afin de s’en servir ou de s’en abstenir, suivant qu’elles sont salutaires ou nuisibles ; il semble maintenant qu’ils n’apprennent à les distinguer que pour être en état de faire le plus de mal possible : aussi n’est-il point de pays où l’on voie plus de monde tué ou gravement atteint par le poison.

Leur vie est d’ailleurs beaucoup plus molle que du temps de Cyrus. Ils se ressentaient encore de l’éducation et de la tempérance des Perses, quoiqu’ils eussent déjà l’habit et la parure des Mèdes. Aujourd’hui, ils laissent s’éteindre en eux les mâles vertus des Perses, et ne conservent que la mollesse des Mèdes. Je veux donner quelques preuves de leur relâchement. Quelques-uns ne se contentent pas d’être étendus sur des couches très-molles ; il faut que les pieds de leurs lits soient posés sur des tapis qui, en obéissant au poids, empêchent de sentir la résistance du plancher. Pour ce qui est du service de la table,