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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/46

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que nous pourrons, afin de nous éloigner le plus possible de l’armée du roi. Une fois que nous serons en avance sur lui de deux ou trois jours de marche, le roi ne pourra plus nous atteindre. Il n’osera pas nous suivre avec peu de troupes ; et, s’il en a beaucoup, il ne pourra pas aller vite ; peut-être même aura-t-il également peu de vivres. Voilà, dit Ariée, quel est mon avis, à moi. »

Ce plan stratégique ne tendait qu’à échapper au roi ou à fuir ; le hasard se montra tacticien plus habile. Dès que le jour paraît, on se met en marche, le soleil à droite[1], et comptant arriver au soleil couchant à des villages de la Babylonie. On ne se trompait point. Vers l’après-midi on croit voir des cavaliers ennemis. Ceux des Grecs qui ne se trouvaient point à leurs rangs courent les reprendre. Ariée, qui était monté sur un chariot à cause de ses blessures, saute à bas et met sa cuirasse, ainsi que ceux qui étaient avec lui. Pendant qu’ils s’arment, les éclaireurs qu’on avait envoyés en avant reviennent dire que ce ne sont point des cavaliers, mais des bêtes de somme à la pâture. Tout le monde en conclut que le roi campe près de là ; et, en effet, on apercevait de la fumée dans les villages voisins. Cependant Cléarque ne marche point à l’ennemi ! Il voyait que les soldats étaient las, à jeun, et qu’il se faisait tard. Toutefois il ne se détourne point, pour n’avoir pas l’air de fuir ; mais il mène son monde droit en avant, et, au soleil couché, il campe avec la tête de la colonne dans les villages les plus proches, d’où l’armée royale avait emporté tout, même le bois des maisons.

Les premiers arrivés se campent avec assez d’ordre, comme d’habitude ; mais les seconds, arrivant à la nuit close, se logent au hasard, et font grand bruit en s’appelant les uns les autres. Les postes les plus rapprochés des ennemis les entendent et s’enfuient de leurs tentes. On s’en aperçut le lendemain, car on ne vit plus aux environs ni bêtes de somme, ni camp, ni fumée. Le roi lui-même, à ce qu’il paraît, fut effrayé de l’approche de l’armée ; sa conduite du lendemain en est la preuve.

Vers le milieu de la nuit, une terreur pareille s’empara des Grecs : grand bruit, grand tumulte, comme il arrive en ces sortes d’alertes. Cléarque avait par hasard auprès de lui Tolmide d’Élée, le meilleur crieur de son temps ; il lui enjoint de faire

  1. L’armée se dirigeait donc vers le nord.