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LA PORTEUSE DE PAIN

terie, mais dans le but unique de créer un petit commerce et d’augmenter, à force de travail, le bien-être de ses chers enfants, sur qui se concentraient désormais toutes ses pensées, toutes ses espérances.

En regagnant l’usine, Jeanne songeait à ces choses, et voilà pourquoi le joyeux babillage du petit Georges n’arrivait pas jusqu’à son oreille distraite.

Elle marchait lentement, nous l’avons dit, sans rien entendre, sans rien voir.

Soudain, elle tressaillit.

Une voix, derrière elle, venait de prononcer son nom.

Cette voix produisit sur elle une impression vive, car son front se plissa, son visage s’assombrit ; mais elle ne tourna point la tête et, au lieu de ralentir le pas, elle marcha plus vite.

— Attendez-moi donc, madame Fortier… — reprit la voix. — Je retourne à l’usine… Nous ferons route ensemble… et je vous débarrasserai de ce bidon qui paraît lourd…

Georges s’était retourné et, reconnaissant celui qui parlait, il s’arrêta, malgré les efforts de sa mère pour l’entraîner.

— Petite maman, — dit-il, — c’est mon bon ami Garaud… celui qui m’a donné mon dada…

Profitant de ce temps d’arrêt, le personnage que Georges venait de nommer Garaud rejoignit la mère et l’enfant.

Jeanne, très agitée, faisait sur elle-même un violent effort pour cacher son trouble.

Le nouveau venu était pâle ; — ses paupières tremblaient ; — son cœur battait à coups redoublés.

Il se baissa, prit Georges dans ses bras, le souleva et l’embrassa sur les deux joues en lui disant :

— Bonjour, bébé !…

Puis, le remettant à terre et s’adressant à Jeanne, il poursuivit, non sans amertume :

— Savez-vous, madame Fortier, qu’on jurerait que je vous fais peur !… — Pourquoi ça ?… — Vous m’aviez bien entendu tout à l’heure quand j’ai prononcé votre nom pour la première fois, et au lieu de m’attendre vous avez hâté le pas… — Vous ne vouliez donc point me parler ? Vous tâchiez donc de me fuir ?… — Qu’est-ce que je vous ai fait ?…

En disant ce qui précède, la voix de Garaud était sourde et mal affermie.

Jeanne répondit avec un embarras et une hésitation manifestes :

— Je vous assure que vous vous trompez. — Je ne vous avais pas entendu, et je me dépêchais pour rentrer à la fabrique, car j’ai donné ma loge à garder à une ouvrière pendant que j’allais jusqu’au village, et je suis fautive…