Page:Yver - La Bergerie.djvu/250

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sols. Il connut de plus profondes et de plus secrètes choses encore, auxquelles il participait : l’angoisse, l’inquiétude immense du maître devant cette matière énorme, puissante et en même temps délicate et perpétuellement menacée qu’est une moisson. Il mesura cette longue suite de craintes, partage du semeur, depuis le jour où le grain est en terre et que le passant qui peut le fouler, le rongeur qui peut le détruire, l’insecte qui peut le pourrir, la gelée qui peut le tuer, la pluie qui peut le noyer, le soleil capable de le brûler, la grêle qui hache les tiges, tour à tour le harcèlent, l’épouvantent, le minent. Il comprit cette période nerveuse et dernière de l’août, où l’œuvre achevée, préservée, sauvée presque, est encore sous le coup des orages, des tempêtes, des averses de la canicule. Chapenel était loin avec ses maladives analyses des clairs de lune sur les boutons de fleurs. Il s’agissait maintenant d’hectares de blés mûrs, dont le sort tenait dans un petit nuage blanc, apparu le matin dans les brumes chaudes de l’horizon. Le robuste de Marcy devenait peureux, inquiet et triste. Avec son sens très affiné de la nature physique, il humait l’orage dans l’air, comme ses bêtes le pouvaient faire. À son tour, Frédéric, en allant rendre à la Bergerie sa visite quotidienne, s’impressionnait de l’air trop lourd, des vapeurs plombées