Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/84

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Pierre ne soufflait mot. Le spectacle de la douleur paternelle ravageait tous les dits de la morale religieuse dont il était pétri. Tellement contracté qu’il ne pouvait même se soulager d’une larme. Pourtant il se posait une question : « Si je savais qu’en levant le doigt je lui rendrais cette image, c’est-à-dire un peu de cette femme, est-ce que je le lèverais ? » Et il se répondait à lui-même : « Non, non : cette femme, c’est le péché ! Je crisperais plutôt le poing de peur que mon doigt ne se lève tout seul pour lui ramener son péché ! »

— Tu ne me dis rien, Pierre. Tu ne me comprends pas. Sans doute es-tu trop jeune. Ou trop pur. Mais songe, toi dont l’âme est si sensible, que j’ai vécu ici des journées d’une intimité toute spirituelle et absolument ineffable avec cette jeune femme d’apparence blagueuse, mais la plus sensible au fond. Son cher bavardage, son esprit, son entrain, la lumière de son front ravissant, c’était assez pour me rendre heureux — et c’était cela que je retrouvais dans ma toile…

Il allait ainsi, se déchargeant. Pierre endossait le fardeau. Quand il quitta son père pour aller reprendre son travail — on était à la veille de la session d’été des examens — son pas sonnait plus lourd qu’à la montée sur les marches de l’escalier. Mais son père prit dans les rayons d’une armoire un petit coffret bourré de lettres. Il les dépliait une à une et les relisait. Un sourire léger s’estompait à la commissure effilée de ses lèvres, sous la moustache qui s’envolait…