Page:Yver - Les Cervelines.djvu/143

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d’elle-même en parlant ; j’ai travaillé prodigieusement ; je ne puis pas beaucoup, moi, je veux. Je n’ai rien créé, rien trouvé ; ce que je dis n’est pas de moi ; j’ai appris et je répète ; je suis l’organe de mes maîtres. Cela ne vaut pas d’admirer beau : coup, docteur. Voir un enseignement public entre les mains d’une femme est encore une chose un peu nouvelle et qui donne une illusion d’originalité et de pittoresque ; est-ce vrai ?… À cause de cela, on a été pour moi beaucoup trop bon ici, je suis très gâtée, cela me donne une sorte de confusion ; si vous saviez quelle reconnaissance j’ai pour mon auditoire !

— Il vous aime, dit Cécile étrangement.

— Il est bien trop bon, bien trop bon, répétait Marceline soudain gênée.

L’impression lui venait que l’auditoire s’incarnait tout à coup dans cet homme inconnu et impénétrable, qui lui tenait des discours empreints de mystère et d’impersonnalité. Dans ce corps délicat, portant ce visage mâle de peinture italienne, elle s’inquiétait d’une âme ; elle était prise d’intérêt, d’attrait, et les yeux féminins de Cécile la déroutaient ; ils la faisaient curieuse de lui. Tous deux, au même instant, firent le même souhait de se comprendre mutuellement ; mais ce fut une rencontre invisible d’esprits, et ils se mirent à parler de choses banales, ce qui causait à Jeanne Bœrk une sorte d’agacement. Elle s’ennuyait. On la voyait frotter de la semelle sa bottine large de paysanne. Elle s’était promis de cette entrevue quelque plaisir, et voilà que non seulement son amie et le médecin échangeaient des lieux communs, mais encore ne s’occupaient nullement d’elle ; et c’était un détail qui