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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/159

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produits des larcins, qui, à ce qu’il semble, sont de bon ton traditionnel chez les étudiants. Parmi les vestons noirs dont s’enclosait la table, le corsage clair et la chevelure d’or de Jeanne Bœrk dominaient. C’était une reine. Elle avait ce soir l’air en passe de coquetterie. Elle était mise en vrai costume de dîner, décolleté jusqu’à mi-pente des épaules, bruissant de soie, d’un jaune lumineux ; un collier de velours rouge serrait la naissance du cou que la chaleur avait pâli. Ses cils blonds laissaient filtrer son regard impassible. Paul vit qu’elle avait gardé près d’elle une place vide, et en perdit la tête de joie. Une atmosphère de viandes grillées, de jus suaves, de poivre, de mousse, de vanille, de fruits fins, montait de la table. L’éclat de la nappe, très blanche, ternissait les assiettes de faïence défraîchie. Le service des verres était dépareillé, mais un infirmier y versait des vins précieux que le président des internes avait fait acheter, — fruits d’une collecte. La marée des rires et des voix recommença de s’accroître.

— Je mourais de peur qu’il ne fût trop tard pour arriver, dit Tisserel en s’asseyant près de sa voisine.

— Vous voyez que vous arrivez au contraire bien assez tôt, répondit-elle, très froide.

À sa gauche, un jeune interne, qu’on appelait Captal d’Ouglas, était penché jusqu’à demi par terre, avec un désir évident d’attirer l’attention. Tisserel lui demanda ce qu’il faisait.

— J’ai laissé échapper un gros mot, cria-t-il sous la table, je cherche à le rattraper.

— Il est trop tard ! clama-t-on dans le tumulte, mademoiselle Bœrk l’a entendu.