Page:Yver - Les Cervelines.djvu/211

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et tendre Marguerite ; son mari est un drôle ; il tourne toujours les vers aussi facilement, mais s’il lui adressait encore ceux qu’il fait, ce seraient, me dit-elle, des vers de haine. J’ai entendu dire que Berthe et son rustaud vivaient à peu près heureux ; il l’a lentement attirée vers son niveau. Ce sont devenus deux paysans rapaces, unis dans les intérêts matériels et l’amour de l’argent. Quant à la belle Béatrix, elle et son mari habitent maintenant Paris, et si je vous disais le nom de ce monsieur, vous comprendriez sans doute du coup que les jours de ma pauvre amie ne sont pas tissés de fils d’or, et que le temps est déjà bien lointain où il voulait, pour elle, se noyer dans le Rhône.

Il semblait à Cécile qu’impalpablement sur ses pensées, sur son imagination, sur son âme, Marceline tendait un voile gris. Il lui en voulait d’être si impitoyable.

— Comprenez-vous maintenant, monsieur Cécile, disait-elle, comprenez-vous qu’une femme clairvoyante et lucide comme Jeanne Bœrk, qui se sent tenir dans les mains du bonheur sûr, se refuse à la passion, si flatteuse qu’elle soit, de monsieur Tisserel ? Il suffit de se posséder bien, de ne se livrer à rien d’irréfléchi pour se garder d’entraînements fâcheux. Franchement, compromettre un avenir comme celui de Jeanne !

— Tisserel ne ressemble pas à tous les personnages que vous me montrez là, s’écria-t-il indigné : Tisserel est un être bon, loyal, affectueux, sa passion même à quelque chose de rare qui ne se rencontre pas. Si vos amies ont eu de mauvais maris, qu’est-ce que cela prouve ?

— Je les ai connus tous, reprit Marceline tran-