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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/252

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toute une nation, quand même son nom ne serait pas universel, serait encore un grand homme.

Cécile le voyait clairement, c’était lui qu’elle avait peint dans ces douces paroles pleines d’amour. Il ferma les yeux sans répondre et se dit : « C’est ma fiancée qui me parle. » Plus elle se rapprochait de lui par cette sorte d’engagement si touchant, plus elle lui semblait inaccessible, sacrée et vénérable. Sa fiancée ! sa sainte fiancée ! Pour quelle femme avait-il éprouvé jamais ce qui devant celle-ci closait ses lèvres au mot le plus bénin d’amour. Il ne savait rien d’elle, de sa vie antérieure, des pensées qui avaient pu peupler ce jeune cour, de ce qui s’y était passé de secret ; mais avec toute la formidable science qui dormait sous ce front de jeune fille, quelque chose d’indiciblement pur régnait. Elle possédait, elle, ce qui est la franchise de la femme jeune : la candeur. Il lisait en elle et pensait : « Par quels mots lui dire que je l’adore ? »

Il ne le lui dit pas ; il lui semblait avoir devant les yeux une enfant qu’un terme trop vif épouvante. Il la voulait délicate et s’offensant d’un rien. Elle serait sa femme ! Ils s’achemineraient à l’Union par les voies honorables et tranquilles des fiançailles bourgeoises. Il s’étonnait d’avoir pu venir seul chez elle, à la nuit, comme ce soir ; soudainement il en était gêné ; il ne pourrait plus recommencer désormais, et il fit un projet…

— Moi, je ne suis rien, prononça-t-il après un long silence de rêve, vous le verrez quand vous me connaîtrez mieux, mais vous pourriez m’apprendre à être quelqu’un.