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XVIII

Dans la petite maison du boulevard, était née une Marceline nouvelle qui commençait de devoir allier péniblement sa vie de travail et sa vie de rêve. Le travail lui devenait terrible ; la pensée de Jean la hantait trop ; il lui arrivait de lire des yeux des pages entières pendant lesquelles son esprit n’avait rien vu d’autre que lui. Cécile lui écrivit le soir même de sa visite, et alors commença entre eux ce roman d’amour épistolaire, étrange, indéfini, factice, où chacun d’eux se surfaisait, se contrefaisait, ainsi qu’il arrive dans les lettres qui sont encore moins l’expression des sentiments que le langage. Jean ne savait pas écrire ; il avait l’âme pleine de subtilités dont ce n’était pas son métier de traduire littérairement l’impalpable essence. Marceline avait d’écrire une habitude consommée ; sa pensée possédait mille formes adroites et fines où en arrivait à se perdre sa simple tendresse de femme qui aime pour la première fois. Et par-dessus tout, régnait dans leur correspondance une contrainte de pudeur excessive, venue de ce que, dès le jour où ils avaient compris leur amour mutuel, ils ne se l’étaient pas