Page:Yver - Les Cervelines.djvu/337

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« Je ne vous fais pas un reproche, mon ami ; je rends plutôt grâce à votre sage mère qui avait mis d’instinct le doigt sur le point défectueux de notre union ; une lucidité secrète d’affection l’aura guidée ; elle s’est dit : « Si cette femme abandonne sa carrière pour être la compagne de mon fils, c’est que le mariage peut prendre d’elle l’âme totale, et je serai tranquille. Mais si elle s’y refuse, qu’est-ce donc que Jean recevra d’elle ?

« Et je m’y suis refusée, étouffant de toutes mes forces mon cœur qui protestait. Je m’y suis refusée, Jean, non pas faute de vous aimer, mais parce que j’étais éclairée subitement sur ma véritable fonction ici-bas. Au moment de perdre cette existence intellectuelle, j’ai pu mesurer, comme un mourant comprend soudain le prix de la vie, à quel degré cette intellectualité était moi-même Et j’ai eu peur, devant ce renoncement immense, de la fragilité de l’amour que je prenais en échange.

« Cher ami, je sens que je vous fais mal et j’en souffre ; ce mot de fragilité vous révolte. Vous vous récriez ; c’est pour toujours que vous m’aimez… Mon pauvre Jean ! suis-je la première à qui vous l’ayez dit ? Je ne sais rien de votre passé ; nous nous sommes connus si peu ! et j’ignore tout de votre vie ; mais j’écris seulement ceci : rappelez-vous la dernière femme à qui vous avez confessé votre amour. Au moins une fois déjà dans votre jeunesse, vous avez cru à l’immortalité de ce qui était en vous ; vous avez peut-être donné votre parole d’amour éternel. Je dis, une fois… en me lisant, combien de visages autrefois ado-